Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
Vom Netzwerk:
encore quelque chose, quelqu’un. Courbant les épaules, il descendit dans le métro. Le trajet serait long jusqu’à Billancourt.
     
    La défaite de la République espagnole, la menace aiguë d’une seconde guerre mondiale, laissaient les anarchistes français désemparés. Ils ne parlaient plus dans leurs réunions que de pacifisme, mais quelle pouvait être la nature de ce pacifisme dans le conflit inévitable qui approchait ? Ils refusaient la guerre antifasciste préconisée par les communistes qui leur paraissait camoufler une guerre impérialiste, mais ils repoussaient aussi le pacifisme absolu, l’indifférente résignation. Lorsque, le 22 août, la presse annonça la signature du pacte germano-soviétique, ils furent les seuls à ne pas se déclarer stupéfaits. Alors que L’Humanité signalait la nouvelle en quelques lignes et en caractères minuscules, Fred Barthélemy la commentait en première page du Libertaire :
    « On voit mal, écrivait-il, ce que la France peut bien reprocher au pacte germano-soviétique, puisqu’elle a, elle-même, signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne, sans demander à la Russie ce qu’elle en pensait. La France s’aperçoit un peu tard de l’utilité d’une alliance militaire avec l’U.R.S.S., que Laval, Blum et Daladier ont toujours tergiversé à conclure. Je comprends que les dirigeants français aient eu peur de se faire avaler par Staline, mais ils se feront bouffer par Hitler. Au fond, tout se résume à ce choix : par qui préférons-nous être dévorés ? »
    Blum se souvenait-il de la visite de Barthélemy, de l’avertissement de la Kollontaï ? Non, sans doute, les politiciens devenant amnésiques dès que l’Histoire ne fonctionne pas selon leurs vœux.
    Dans la rue, aux terrasses des cafés, dans le métro, des gens consternés, la mine longue, parcouraient hâtivement les journaux. Mais pas L’Humanité que personne ne déployait plus. Les communistes s’étaient soudain volatilisés.
    Évidemment, lorsque le gouvernement français entra en guerre, début septembre, son premier objectif fut de frapper les anarchistes, plus faciles à capturer que les chars de Guderian. Alors qu’un numéro du Libertaire se mettait en page, la police envahit les locaux, saisit le papier et le matériel. Les scellés sur les portes, Fred Barthélemy se retrouva dans la rue avec Louis Lecoin et quelques camarades. La rue, cela ne les offusquait pas. Elle restait leur domaine de prédilection. Ils en aimaient à la fois l’anonymat, l’activité et l’imprévu. La rue, lieu des manifs, de la vente des journaux, de la distribution des prospectus, des rencontres, de la propagande sur le vif. D’être jetés à la rue les rajeunissait. Ils se sentaient à la fois plus disponibles et plus aventureux. À propos, quoi faire ? À quoi pouvons-nous encore être bons ? se demandaient-ils. À quoi pouvons-nous encore être utiles ? La solution individuelle de se soustraire au crime collectif par la désertion retenait certains. Fred et Lecoin la repoussaient. Ils cherchaient plutôt un geste, un dernier geste avant la catastrophe, qui leur permettrait au moins de libérer leur conscience. Lecoin proposa de divulguer un tract que l’on intitulerait… « Paix immédiate ! » D’abord rédiger un texte et le faire signer par les personnalités pacifistes les plus notoires, c’est-à-dire Alain, Victor Margueritte, Jean Giono. Comme il en est des proclamations collectives, dont la vitalité s’émousse à force de se heurter aux corrections multiples, le libellé de « Paix immédiate » se révéla finalement plutôt anodin. Fred accompagna néanmoins Lecoin dans sa chasse aux paraphes. Ils n’en voulaient pas plus d’une trentaine. Marceau Pivert, chef de file du courant de la gauche révolutionnaire à la S.F.I.O., Henri Jeanson, scénariste de Pépé le Moko et de Hôtel du Nord, Henry Poulaille, leader de la littérature prolétarienne, Marcel Déat, socialiste transfuge de la S.F.I.O., auteur du slogan « Mourir à Dantzig », signèrent sans problème. Joindre Alain, Margueritte et Giono se révélait plus difficile. Difficile, mais indispensable puisqu’ils étaient tous les trois les auteurs de l’impératif télégramme envoyé à Daladier et à Chamberlain : « Nous voulons que la France prenne immédiatement l’initiative d’un désarmement universel. »
    Un camarade réussit à emprunter une vieille bagnole qu’il

Weitere Kostenlose Bücher