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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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dodues.
    — Grattez-vous, mon petit camarade. Mais souvenez-vous que les poux ça s’écrase comme ça !
    Zinoviev fit crisser ses ongles du pouce et de l’index. Puis il se mit à gémir et s’allongea sur le divan.
     
    C’est vrai qu’ils étaient tous les trois condamnés à mort par contumace, comme Guilbeaux. Fred savait bien qu’il ne pouvait sans danger retourner en France, mais d’être ainsi rejeté, sinon pour toujours, en tout cas pour de nombreuses années (car il comprenait bien que la révolution mondiale n’était pas pour demain, que ni la France, ni l’Italie, ni l’Angleterre, ne s’y préparaient, contrairement à ce que s’obstinait à imaginer Lénine), d’être ainsi rejeté lui portait un coup terrible. Il ne se trouvait pas mal à Moscou, mais Flora et Germinal lui manquaient. L’information de Zinoviev tomba comme un verdict, puis comme un couperet de guillotine. Il eut soudain l’impression que son passé venait d’être tranché et que Zinoviev avait manœuvré la machine.
    Plus rien ne s’opposait donc à ce qu’il se mette en ménage avec Galina.
    Galina Anastasia Fedoroff, fille de bourgeois mencheviks disparus en exil, travaillait en étroite collaboration avec Kamenev, le premier président de l’exécutif central des soviets, fonction équivalente à celle d’un président de la République. L’opposition de Kamenev à Lénine et à Trotski lorsque ceux-ci négocièrent la paix de Brest-Litovsk, le jeta à bas de son socle. Il s’en consolait par ce vrai pouvoir qu’il détenait avec Zinoviev et Staline, puisque tous les trois représentaient l’aile droite du parti bolchevik. Moins populaire que Zinoviev, Kamenev était par contre plus respecté. Il n’empêche que ces deux leaders se complétaient, à tel point qu’on les surnommait les « Castor et Pollux de la Révolution ». Zinoviev, c’était la passion et l’imagination ; Kamenev, la négociation et la conciliation.
    La liaison de Galina et de Fred s’était accomplie tout naturellement, sorte de prolongement de leur vie militante. Petite femme nerveuse, brune, aux cheveux et aux yeux très noirs, toujours coiffée d’un fichu rouge, bottée, sanglée dans des ceintures de cuir qui prenaient des allures de baudrier. Galina avait participé à Petrograd à l’insurrection d’Octobre. Le soir du 25, alors que ses parents fuyaient dans la voiture de Kerenski, elle se trouvait dans la grande salle de l’Institut Smolnyï et distribuait du thé chaud à Lénine et à Trotski, harassés, couchés à même le plancher. Le lendemain, sur l’unique machine à écrire de l’Institut, elle tapait les proclamations que lui dictaient les nouveaux maîtres de la Russie. Dans les premiers jours de la République des soviets, Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Staline, travaillaient et dormaient dans les minuscules bureaux de l’Institut Smolnyï, transformé en siège du gouvernement. Galina et quelques autres filles déjeunaient et dînaient avec eux à la cantine, d’une unique soupe aux choux et de pain noir. La prise du pouvoir, si risquée, si soudaine, entretenait une excitation chez les vainqueurs qui se traduisait par un brouhaha perpétuel, des allées et venues de messagers, car il n’existait pas de téléphone dans cet ancien bâtiment où les demoiselles de la noblesse recevaient hier encore leur éducation. Pour éviter le ridicule de s’appeler ministres, titre particulièrement honni, les vainqueurs se désignaient commissaires du peuple, parodiant ainsi, dès le début, la Révolution française. Du grésillement des réveille-matin, au bruit de bottes des gardes rouges faisant leur ronde de nuit, l’ex-Institut Smolnyï bruissait comme une usine. Galina conservait le prestige insigne d’avoir été la première dactylographe de Lénine. Titre incontestable, puisque, le 26 octobre et dans les jours qui suivirent, il n’exista pas d’autre dactylographe à l’Institut Smolnyï, pour la bonne raison que personne ne savait où en trouver une seconde.
    Galina, lorsqu’elle racontait à Fred ces souvenirs de Petrograd, s’étonnait encore que Lénine et Trotski aient placé leur bureau aux deux extrémités du bâtiment, alors qu’ils avaient perpétuellement des choses à se dire. Le couloir reliant ces deux pièces était si long que Lénine, seul humoriste parmi tous ces pisse-froid, proposa d’établir la communication par un cycliste. Faute de cycliste,

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