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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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ans. Galina devenait une doublure.
    Quant à Alexis, jamais Germinal ne l’avait autant ému. Sans doute Fred était-il trop jeune à la naissance de Germinal, tombé dans ses jeux d’enfant comme un jouet lancé par un facétieux père Noël. Avec Alexis, il se sentait charnellement père. Il aimait le prendre dans ses bras, le porter vers la fenêtre et lui montrer la rue bruyante de passants et de véhicules. Il aimait lui parler en français. Il ne parlait plus guère français, sinon un peu avec Victor. Les mots qu’il murmurait à l’oreille d’Alexis ressemblaient à une comptine. Toujours ces mots le ramenaient à Belleville, vers Flora, et il s’offusquait de confondre Alexis et Germinal, d’exclure Galina qui l’interrogeait de ses yeux noirs.
     
    L’ascension de Trotski atteignait son zénith. Enfin, pas tout à fait puisqu’au zénith se plaçait Lénine. Trotski, néanmoins, se trouvait maintenant assis à la droite du père.
    Il étonnait Lénine et le déconcertait. Les tirades pathétiques de cet orateur théâtral suscitaient à la fois chez Vladimir Ilitch admiration et malaise ; et même souvent la désagréable impression d’être un moujik écoutant, béat, un intellectuel grandiloquent. Il n’empêche qu’en cette année 1921 Trotski apparaissait comme son favori. Par une sorte de mécanique pendulaire, plus Trotski montait, plus Zinoviev descendait. Et Zinoviev, descendant, tombait au trente-sixième dessous. Fred passait la majeure partie de son temps à essayer de le remonter. Il y mettait d’autant plus de conviction que la réussite de Trotski le rebutait lui-même, qu’il voyait en Trotski poindre la silhouette d’un dictateur militaire. Jamais Fred ne se sentit plus proche de Zinoviev, malgré les aspects troubles du personnage. Mais qui n’était pas trouble dans cette cour du roi Pétaud ? Boukharine ? Il décevait Fred depuis qu’il approuvait la militarisation des syndicats. Boukharine virait à droite. Kamenev ? Kamenev, l’honnêteté même, la rectitude, effrayé par la personnalité dominatrice de Trotski, se tournait aussi contre celui-ci. De toute manière, Kamenev et Zinoviev se maintenaient toujours sur la même ligne. Castor et Pollux obligent ! Zinoviev se lamentait :
    — Il n’y en a que pour le feld-maréchal. Le Parti n’est plus léniniste, il devient trotskiste !
    Trotskiste ! Cette trouvaille l’enchanta. Le mot, lancé, sera repris par tous les adversaires du créateur de l’armée rouge. Y compris par Fred qui agaçait Victor en utilisant abusivement cet adjectif. Malgré la tendance au totalitarisme de Trotski, Victor Serge lui conservait sa confiance. Si bien que l’amitié de Fred et de Victor s’altéra. Ils évitaient de parler entre eux de politique, ce que leurs fonctions rendaient difficile. Par voie de conséquence, Belleville revenait de plus en plus souvent dans leurs propos. L’avenir incertain, ils se complaisaient dans leur passé. La République est toujours plus belle sous l’Empire !
    Dans son désarroi, Alfred Barthélemy portait de plus en plus son attention sur les rivaux des bolcheviks. Ces socialistes révolutionnaires de gauche, parti majoritaire dans le premier gouvernement des soviets, et proscrit depuis que Trotski l’avait voué aux « poubelles de l’Histoire ». Au contraire des anarchistes ideiny, les socialistes révolutionnaires de gauche n’acceptèrent jamais aucune compromission avec les bolcheviks qu’ils ne cessèrent d’accuser de trahir les principes socialistes. Le 7 juillet 1918, ils faillirent même réussir une insurrection contre le gouvernement de Lénine puisqu’ils allèrent jusqu’à incarcérer Dzerjinski. L’âme de cette révolte, de ces complots, était cette frêle petite femme, Marie Spiridonova, dont la popularité égalait presque celle de Lénine.
    Marie Spiridonova intriguait Alfred Barthélemy. Comme tout le monde, il savait que la Spiridonova avait exécuté de sa propre main un gouverneur au temps du tsarisme, qu’elle avait été arrêtée, torturée, condamnée au bagne, libérée comme tous les politiques en février 17.
    Il savait que Trotski, avant d’adhérer tardivement au parti de Lénine, se trouvait très proche des socialistes révolutionnaires de gauche. D’où sans doute la haine qu’il leur portait aujourd’hui, et à la Spiridonova en particulier, comme s’il espérait, par cette outrance, faire oublier d’aussi mauvaises

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