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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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l’étranger, comme Makhno. Et tu proclameras là-bas tout ce que tu sais. Pars avant que ce ne soit trop tard. Sauve ta mémoire. Nous comptons sur toi. Tiens, voilà le récit, jour par jour, de la fin des nôtres.
    L’homme tendit à Fred un rouleau de papier.
    — Makhno est en Roumanie. Peut-être n’en sortira-t-il jamais ! Peut-être le souvenir de la grande makhnovitchina va-t-il mourir avec lui. Il est frappé de tant de blessures. Il faut que tu préserves la mémoire de la makhnovitchina. Tiens…
    Fred montra le gamin, resté près des deux hommes et qui les regardait.
    — Ne crains rien, dit l’inconnu. Il est muet. Il va te reconduire.
    Fred se revoyait dans ce gavroche, du temps où il errait aux Halles de Paris ; ce gavroche qui bientôt serait traqué et enfermé dans un camp. Enfermé comme Alexis. Une douleur intense le prenait au ventre, lui remontait dans la poitrine. Il voulut donner quelques kopecks à ce pauvre petit, mais celui-ci s’éclipsa. Fred se trouvait tout près de sa demeure. Comme il n’avait aucune envie de rejoindre Galina, il se dirigea vers le Kremlin. Les bureaux des leaders demeuraient ouverts toute la nuit. On y travaillait sans interruption à la lueur de lampes électriques trop faibles, qui fatiguaient les yeux. C’est au Kremlin, dans le bureau proche de celui de Zinoviev, que Fred serait le plus tranquille pour lire le mémoire sur la makhnovitchina.
     
    Le mémoire était très long, écrit d’une manière naïve et déclamatoire. Alfred Barthélemy le relut plusieurs fois, s’appliqua à en retenir l’essentiel et en brûla toutes les feuilles dans le poêle, veillant à ce que ne subsiste aucune trace des papiers carbonisés. Il s’assit ensuite à son bureau, se prit la tête dans les mains, se cacha les yeux et reconstitua, pour lui-même, le récit.
    Tout commença en novembre 1920, lorsque l’armée makhnoviste unie à l’armée rouge écrasa l’armée blanche de Wrangel en Crimée. La guerre civile contre les derniers débris du tsarisme se termina ainsi. C’est alors que l’armée rouge se retourna brusquement contre son alliée « noire ».
    Convié par Trotski, avec tout son état-major, le « général » anarchiste Simon Karetnik s’attendait à sabler le champagne. Or, tous ces chefs de partisans furent arrêtés et immédiatement fusillés. Une grande partie de leurs soldats, qui ne s’attendaient pas à une telle volte-face, tombèrent devant les mitrailleuses « prolétariennes ». Seul Martchenko, commandant de la cavalerie, parvint à se dégager et à entraîner ses cosaques dans l’isthme de Peretop.
    Makhno, qui se trouvait dans son quartier général de Goulaï-Polé, cerné lui aussi par les bolcheviks, réussit à rompre l’encerclement de l’ennemi avec son escadron de deux cents cavaliers. Très vite, comme à son habitude, il forma une nouvelle troupe de partisans et mit en déroute la 42 e division de l’armée rouge. Sa mobilité ne lui permettant pas de s’encombrer de prisonniers, il fusillait les officiers et donnait le choix aux soldats entre la désertion ou l’insertion dans la makhnovitchina. Sur six mille prisonniers, deux mille acceptèrent. Les paysans de Makhno, depuis le début de l’insurrection ukrainienne, se gonflèrent toujours ainsi de transfuges de l’armée rouge.
    Makhno savait que Martchenko avait échappé au traquenard de Crimée et il attendait impatiemment sa venue. Le 7 décembre, un cavalier qui avait aperçu les troupes de Martchenko arriva au galop. Makhno s’élança aussitôt à la rencontre de ceux qui constituaient le fer de lance de sa cavalerie. À l’enthousiasme succéda l’angoisse lorsqu’il vit apparaître au loin, au lieu des quinze cents chevaux partis d’Ukraine, une poignée d’hommes harassés sur deux cents montures. Martchenko, à leur tête, poussa son cheval vers Makhno et lui cria, d’une voix à la fois solennelle et ironique :
    — J’ai l’honneur de vous annoncer le retour de l’armée de Crimée.
    À la vue des restes lamentables de sa magnifique cavalerie, Makhno, atterré, se tut, trop ému pour prononcer les paroles d’accueil qui s’imposaient.
    — Oui, frère, reprit Martchenko. À présent seulement, nous savons ce que sont les communistes.
    De novembre 1920, date à laquelle l’armée rouge déchira les accords qui la liaient à l’armée noire, jusqu’en août 1921, une dernière lutte à mort se livra entre le nouvel

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