La momie de la Butte-aux-cailles
là-dedans !
— Je vous prête mes allumettes, employez-les à bon escient.
Ils n’éprouvèrent qu’un médiocre plaisir à partager une nouvelle fois l’obscurité du couloir peuplé du clan des arachnides. Joseph craqua deux allumettes en s’efforçant de laisser les cloisons dans les ténèbres, se fixant pour unique objectif le sommet d’un escalier qui ne tarda pas à se présenter.
— Y a quelqu’un ? chuchota-t-il, de peur de déplaire aux huit-pattes.
— En bas, nous sommes là, dépêchez-vous, il ne peut pas bouger, il est attaché, l’autre aussi ! hurla une femme.
— L’autre ? Quel autre ? Mademoiselle Rose ? C’est bien vous ?
— Oui, vite, je vous en supplie, je n’arrive pas à détacher leurs bâillons et leurs liens.
La boîte d’allumettes entière apporta sa contribution à la délivrance des cloîtrés, ombres chancelantes qui escaladèrent à grand-peine les marches humides, Joseph en tête.
— L’archange ! s’exclama-t-il en découvrant la physionomie du compagnon de Rose. C’est vous qui sifflotiez La Légende de saint Nicolas la nuit du samedi 19 sous les combles !
Le grand gaillard, les cheveux blonds parsemés de flocons poudreux, avait perdu de sa superbe. Il contemplait son interlocuteur sans paraître l’entendre. Mais déjà Joseph se désintéressait de lui et s’inquiétait du troisième larron, un homme pâle, le visage embroussaillé d’une barbe de plusieurs jours, un costume militaire déchiré flottant autour de sa silhouette amaigrie.
— Le cousin Alphonse ! Dans quel état ! Saperlotte, c’est à devenir marteau, qu’est-ce que vous fabriquiez tous dans ce souterrain, pourquoi cette abrutie de Chaillot vous a-t-elle regroupés là ? Au fait, Bringolo, ça vous rappelle quelqu’un ?
Rose Varlet, blottie contre l’archange, visa de l’index les bosquets comme si elle pointait un revolver invisible. Le cou démanché, Joseph s’efforça de distinguer ce qu’elle lui montrait. Il reconnut Victor sur le point d’attraper un fuyard. Ils disparurent derrière une rangée de coudriers. Joseph planta là les rescapés.
Quand il rejoignit son beau-frère, celui-ci avait empoigné un individu fortement charpenté et tous deux se vautraient au milieu de la mare où, à tour de rôle, ils se prosternaient dans la gadoue. Des exclamations rauques ponctuaient leur lutte. Dès que l’un triomphait, son adversaire le terrassait et pesait sur son crâne afin de l’enfoncer dans l’eau noirâtre. Avant que Joseph n’ait eu le loisir de courir au secours de Victor, un long coup de sifflet retentit et, presque aussitôt, deux gendarmes et un imposant brigadier à bicyclette pédalèrent jusqu’au bassin, une jolie rouquine à leur traîne. Les gendarmes eurent tôt fait de remettre les deux hommes sur pied et de les séparer.
— Qui est le coupable ? s’écria le brigadier.
— Le plus costaud, celui-ci, répondit Tasha, sautant de sa machine. Mon Dieu, mais c’est… Michel Forestier !
— Forestier ? Impossible, rétorqua Joseph. Il est là !
Il désignait l’archange qui, accompagné de Rose Varlet et d’Alphonse Ballu, avait assisté à la capture.
— Vous confondez, monsieur, je suis Pierre Marcelin, l’employé de Michel.
— Mais alors… Victor, nous sommes des billes ! brama Joseph.
— Ce n’est pas moi qui démentirai cette assertion, approuva une voix ironique.
Les regards convergèrent vers un élégant Japonais à lavallière pervenche, appuyé sur une canne dont le pommeau de jade figurait une tête de cheval.
— Kenji ! Comment avez-vous su ?… murmura Victor en essuyant son visage maculé de boue.
— Iris flairait des complications. Elle s’est confiée à Tasha, qui lui a téléphoné depuis le commissariat où elle a informé les sergents de ville. Étant donné que j’étais chez vous, monsieur mon gendre, pour embrasser ma petite-fille, j’ai proposé mes services à ma fille qui, vous vous en souvenez, va prochainement vous doter d’un nouvel héritier, à moins qu’une trop vive émotion ne soit responsable d’une fausse couche.
Profitant de la consternation générale, Michel Forestier abattit son poing sur le menton d’un des pandores et, d’une bourrade, fit vaciller son compère. C’était sans compter avec Alphonse Ballu, dont la faiblesse se dissipa sous le coup d’un soudain afflux de fureur. Il dompta rapidement le fugitif et l’eût étranglé si le
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