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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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propriété, fouettée de courants d’air hostiles à la station verticale d’un pauvre chemineau. Derechef à croupetons, Bringolo, fasciné, ne parvenait plus à détacher son attention de l’effigie disloquée qui donnait l’impression de commander à l’ouragan. Devenir sourd et aveugle !
    Sans préambule, le vent s’apaisa, les éléments déchaînés s’anéantirent. Une aurore chlorotique alluma les acacias ceinturant la mare secouée de gargouillis. Un énorme cumulus sombre aux contours déchiquetés surplombait le jardin raviné de ruisselets. Un rat musqué détala. Certain que le branle-bas était derrière lui, Bringolo s’ébroua, mais le déluge redoubla, se mua en grêlons responsables d’une débâcle de rameaux propres à assommer l’homme le plus solide.
    — La malédiction d’Égypte ! Hé ! là-haut, y a erreur, j’suis pas pharaon, moi ! hurla Bringolo incontinent, étalé entre deux buissons.
    Il rabattit sa pèlerine par-dessus sa tête et s’assoupit, terrassé.
    Il rêva. Cet univers parallèle était un havre où toutes les vicissitudes qui avaient jalonné sa vie se dissolvaient en une palette d’émotions. Il ne sentait plus son poids, il était d’une légèreté incroyable…
    Bringolo remua faiblement, le corps tétanisé, puis éternua en rafale. Roulant sur le dos, il inspecta une étendue gorge-de-pigeon dépourvue de nuages. Avait-il été le jouet d’une hallucination ? À vingt mètres de lui, la carcasse déracinée d’un bouleau attestait l’énergie de la bourrasque. La propriété était dévastée. Ce n’était pas le pire. De la pointe de son croquenot, Bringolo ébranla un obstacle. Une tête de canidé hideux le dévisageait de ses orbites creuses. Sous la redingote, déchirée, n’apparaissaient que d’infimes fragments blanchâtres. La statue s’était à moitié désagrégée. Pétrifié, Bringolo resta en suspens, respirant à peine de crainte que le spectre ne s’éveillât. Pas à pas, il recula. Telle une cuve débondée, la mare s’était asséchée des deux tiers de son contenu, sucés par une turbulence issue des profondeurs. Dans les larges flaques barattées par des nageoires affolées barbotaient les poissons rescapés.
    — Tu parles d’une veine ! s’écria Bringolo, oublieux de son épouvante. Y m’faudrait une épuisette. Bah ! On va y remédier, les meilleures armes du pêcheur, c’est la patience, la ruse, et les méninges !
    Un cassis sauvage épargné par le vent fut mis à contribution. Le clochard s’y suspendit et y préleva une tige fourchue. Ensuite, il se déshabilla, et, quand il eut ôté son tricot et que, torse nu, il n’eut plus sur lui que ses caleçons, il fut incommodé par une crise de sternutation. Il noua la défroque aux extrémités de la tige et pénétra dans l’eau en évitant les membres inférieurs de la statue. Il pataugeait à mi-cuisses et semait l’effroi dans la gent à écailles.
    — Y a qu’à se baisser, ma parole, c’est mieux que la pêche miraculeuse, sauf que si tu te prends pour Jésus, mon vieux Bringolo, c’est que t’es vraiment frappé. Tiens, là, cette peau dorée, ces barbillons, c’est une carpe !
    Il pourchassa l’animal un bon quart d’heure avant d’emprisonner dans sa nasse improvisée son butin, beaucoup plus acharné à s’en évader qu’il ne l’eût soupçonné. Ce fut une fameuse bagarre. Quand il serra contre sa poitrine le tricot immobile, le froid l’avait saisi, ses doigts étaient gourds, son épiderme bleui.
    — Rassasie-toi de ça, mon gars, sinon c’est la pneumonie garantie. Quel morceau ! Aussi grasse qu’un brochet. Souhaitons que les autres n’aillent pas calancher trop vite, dans ce peu d’flotte.
    Se revêtir lui prit du temps. Il guignait les débris de la statue, disposé à décamper si elle manifestait des velléités de mouvement.
    — Toi, dès qu’j’ aurai négocié mon poiscaille, je te réduirai en miettes.
     
    La jupe, le manteau, les bas et les souliers de Micheline Ballu étaient crottés comme si elle s’était hasardée en un terrain bourbeux. Merveilleux projet qu’avait eu Poulot de l’emmener batifoler aux Catacombes en guise de randonnée culturelle fortement recommandée par Adhémar Findorge. Poulot avait déplacé leur rendez-vous un jeudi, heureusement, Lulu lui gardait la loge. Ces murailles de crânes auxquels ils s’étaient confrontés l’obséderaient longtemps. Jouant les farauds

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