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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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ouvrages.
    — Mimi est au coin du feu avec un grog, un rhume carabiné. Entre nous, c’est une aubaine, elle est spécialiste des bourdes, et comme il va y avoir du linge…
    — Combien de toiles exposes-tu ?
    — Seulement quatre, du fretin négligeable, juste pour amorcer des commandes.
    Surchauffée par un gros poêle et pleine à craquer, la salle résonnait de bavardages. Tasha ne s’attarda pas auprès des œuvres de Maurice Laumier, des chromos qu’elle estimait indignes de lui. Elle concéda un coup d’œil à deux tableaux de houillères du nord de la France peints, lui sembla-t-il, à l’aide de charbon. À côté de leur auteur, un maigrichon blême, s’agitait une volubile poupée brune noyée sous les fanfreluches. Elle attrapa le bras de Tasha pour l’attirer vers la table où étaient réparties quantité de miniatures, dont certaines avaient la taille de médaillons. Toutes étaient consacrées aux costumes régionaux de la Grèce, pays de Mlle Électre Stamatis, impatiente d’abreuver de ses récriminations une oreille compatissante.
    — C’est moi qui suis la plus douée de cette assemblée, et on m’a reléguée entre cette vieille bibliothèque et ce tuyau de fonte ! Mais maintenant que Verlaine est mort, un de mes compatriotes, Jean Moréas 20 , porte enfin la dénomination honorifique de prince des cafés littéraires ! Ah ! Verlaine l’a pourtant bassement assaisonné dans ses Invectives récemment parues à titre posthume 21 , où il l’accuse de se prétendre chef d’école et, écrit-il, « cela fait que de lui on rigole ». Mais on colporte qu’Eugénie Krantz, sa compagne, est dans une telle mistoufle qu’elle en est réduite à vendre aux touristes anglais les porte-plumes et les pipes du maître, qu’elle marchande dans un bazar !
    La poupée se pourlécha méchamment les babines. Son vocabulaire et son accent, plus faubouriens que grecs, répugnèrent à Tasha, prompte à s’échapper.
    Elle tomba en arrêt devant une plantureuse créature de marbre blanc totalement nue et lestée de deux seaux.
    — C’est d’un goût discutable et d’une licence absolue, trancha une dame à toque verte.
    — Madame, je vous certifie que cette laitière est la personnification du labeur paysan ! protesta en roulant les r un statuaire italien.
    — Inutile de vous excuser, monsieur. Nous décrétons dangereux ceux qui ont l’esprit fait autrement que nous et immoraux ceux qui n’ont pas notre morale, énonça doucement un homme au nez busqué et à la barbe imposante.
    — Monsieur France ! Quel plaisir de vous rencontrer ! s’écria Tasha.
    Anatole France lui baisa la main et chuchota :
    — Soyons discrets, ma chère enfant, je ne suis qu’un modeste promeneur. Il y a ici des artistes talentueux qui auraient besoin de publicité. Je vous laisse, je vais remettre ma contribution à Auguste Rodin, vice-président du comité pour le monument de Paul Verlaine à ériger au Luxembourg 22 .
    Tasha suivit du regard l’écrivain et le vit accoster un homme trapu lui aussi détenteur d’une barbe abondante, en grande conversation avec un interlocuteur de haute stature qu’elle reconnut aussitôt bien qu’il se tînt de trois quarts. Lui ! Juste plus âgé, avec des fils argentés sur les tempes. Elle sentit sa gorge se nouer. Il l’observait à la dérobée, sans que ses traits ne s’altèrent. Elle perdait pied et se détourna, les yeux ne mentent pas, ils ne peuvent dissimuler les émotions qu’ils expriment. Mon Dieu ! Quelle folie d’être venue ! Elle manœuvra de manière à feindre une vive curiosité pour les bustes de Diderot trônant sur une console qui jouxtait quelques bronzes longilignes, objet des éloges de Rodin.
    — Monsieur Kampers, vous avez acquis une habileté remarquable, les photos que vous m’avez envoyées ne rendent qu’imparfaitement compte de vos qualités. J’apprécie particulièrement cet amoureux qui tente de retenir sa maîtresse.
    — J’ai déjà à mon actif une dizaine d’expositions à Berlin et les articles parus dans les revues m’ont été très favorables. Toutefois, votre opinion m’est infiniment précieuse. J’ai séjourné à Calais cet été, vos Bourgeois sont une merveille. Chacun d’eux est l’égal d’un récit en mouvement, on devine leur désarroi, ils ont accepté d’être exécutés pour sauver leur ville, leur port traduit le désespoir et le courage des humains dignes de ce nom.

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