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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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n’est jamais si à l’aise que chez son merlan, au plaisir d’être tondu s’adjoint celui de disserter sur l’état du monde !
    Il accompagna à la porte l’homme bedonnant dont il brossa le costume et le chapeau jusqu’à ce qu’un généreux pourboire lui soit versé.
    — À nous deux ! clama-t-il à l’intention de Jean-Pierre Verberin.
    Sans pouvoir faire « ouf », il fut lui aussi saucissonné dans un peignoir, une serviette roulée en tortillon sépara son cou de sa chemise et un blaireau spumeux agressa son menton. Malgré ses protestations, sa moustache drue fut taillée en pointe, et, pendant que son crâne était maintenu en arrière, un cliquetis métallique lui apprit qu’on s’attaquait à ses cheveux. L’émondage prit fin, un liquide fatal aux pellicules lui coula sur la nuque et dans les oreilles. Jean-Pierre Verberin affronta son reflet dans la psyché surmontée de boîtes, de fioles et de peignes. Un autre homme, rajeuni, fringant, béait face à lui. Le coiffeur, exténué de s’être démené et d’avoir abordé maints sujets, depuis le séjour du tsar à Copenhague à la compagnie de bicyclistes de l’armée, via les compétitions hippiques et l’ouragan du jeudi 10, hocha le chef, à bout de salive.
    — Vous n’êtes pas loquace, vous. Mais au moins, êtes-vous satisfait ?
    — Bonsoir, madame Burgan, n’omettez pas de vous badigeonner au coucher, le lendemain vous aurez un teint de rose ! recommanda la jeune fille.
    Son patron eut une moue sceptique, la porte carillonna.
    — C’est parfait, parfait, marmotta Jean-Pierre Verberin.
    Tandis qu’on lui rendait la monnaie, il prit son courage à deux mains.
    — Par hasard, vous ne connaîtriez pas un ami à moi, qui s’appelle Jean-Baptiste Bringart, Bringolo pour les intimes ?
    Le coiffeur et l’employée secouèrent la tête.
    — C’est un clown ou un magicien ? Avec un nom pareil…
    — Non, c’est un… euh… un voyageur, affirma Jean-Pierre Verberin à la jeune fille qui daignait lui accorder une pointe d’intérêt tout en balayant le sol.
    Il était séduit par le nez retroussé, les fossettes circonscrites de boucles blondes, les accroche-cœurs sur les tempes et les yeux pers qui composaient sa physionomie.
    — Lucy, vous fermerez, je file, ma moitié va râler si le potage refroidit ! brailla le patron.
    — Décidément, ce Bringolo m’est inconnu. D’où tenez-vous qu’il fréquente notre salon ? demanda-t-elle.
    — C’est à cause de votre carte de visite, elle lui sert de marque-page.
    — M. Champlan et moi coiffons souvent des gens anonymes. Écoutez, laissez-moi votre adresse, et si obtiens des indications concernant votre camarade, je vous avertirai.
    Il nota sur le registre à souches qu’elle lui avait présenté :
    Jean-Pierre Verberin, 4 bis, impasse du Labrador, XV arrondissement.
    — C’est près de la porte de Brancion, précisa-t-il.
    — Vous avez une belle écriture.
    — J’exerçais le métier de copiste dans une maison de commerce. J’ai manié le grattoir et la plume pendant trente ans.
    Poings aux hanches, elle émit un sifflement approbateur.
    — C’est admirable, l’instruction ! Mon fiancé travaille dans un ministère. Enfin, je dis mon fiancé, bien qu’il se soucie de moi comme d’une guigne, déjà presque une semaine que je suis sans nouvelles…
    Intimidé par la façon appuyée dont elle l’examinait, Jean-Pierre Verberin allégua l’heure tardive et se retira. Il se blâmait d’avoir minimisé son inquiétude, il aurait dû être plus explicite, conter par le menu l’histoire de Bringolo, du livre, des empreintes, du canif. Mais, en dehors de Monette, il avait toute sa vie été embarrassé par le sexe faible. Cette jeune personne allait juger son attitude équivoque s’il insistait, il redoutait de bafouiller et de rougir. Son départ, semblable à un sauve-qui-peut, décupla au contraire la sympathie que ressentait à son égard Lucy Grésmille.
    — Est-il chou, celui-là ! murmura-t-elle à son balai.
     
    Maurice Laumier accueillit Michel Forestier sur le trottoir de la rue de l’Ancienne-Comédie, devant le numéro 13 où se dressait le café Procope , un des plus anciens de Paris. Il s’extasia sur le superbe balcon de fer forgé décorant l’étage et lui assura que Fontenelle, Chamfort et Rivarol s’y étaient livrés à des calembours qu’ils n’avaient hélas consignés dans aucun de leurs

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