La mort bleue
Thomas jeta les yeux vers la gauche, en direction de la corbeille où prenait place la famille du maire Lavigueur. Lâhomme serrait les mâchoires tout en contemplant fixement ses concitoyens réunis au parterre.
Au dernier acte, penché sur lâépaule de sa femme, Thomas contempla la sarabande de la Nuit de Walpurgis prenant vie sous ses yeux. De nouveau, la peur de la mort, et dans ces circonstances, lâattrait dâun pacte avec le diable pour la conjurer, remua son esprit. En diagonale devant lui, Ãvelyne se laissait plutôt bercer par la scène finale où Marguerite, libérée des vicissitudes humaines grâce à une intervention divine, sâélevait vers un paradis peuplé dâanges. Elle se tourna à demi pour voir Ãdouard assis derrière elle. La scène agissait différemment sur lui. à ce moment, remarqua-t-elle, le regard de son époux se portait vers le corsage échancré de la plantureuse chanteuse.
* * *
Plutôt que de profiter de lâopéra, Charles Hamelin se tenait sur le quai, au moment où le traversier venu de Lévis descendait sa passerelle. à cette heure, les passagers se trouvaient peu nombreux et Ãlise vint tout de suite vers lui. Il ouvrit les bras pour lâaccueillir, eut un mouvement de recul en apercevant le masque couvrant la moitié inférieure de son visage.
â Oh! Je suis désolée, commenta-t-elle en le décrochant de ses oreilles. Toutes les personnes montées dans le train à Sherbrooke conservaient le leur. Après, jâai oublié.
Ils échangèrent un baiser, puis il demanda :
â La situation là -bas est tellement grave?
â à tout le moins, le docteur Jones la prend très au sérieux.
â Si tu veux, tu me raconteras au restaurant. Ta mère nous recommande de prendre un petit souper tardif au Château . Elle semblait même disposée à passer la nuit sur le canapé du salon.
â ⦠Tu es vraiment dans ses bonnes grâces.
Le médecin répondit dâun sourire, tout en lui tendant le bras. Pendant deux heures, ils arriveraient à faire semblant que les germes nâexistaient plus.
* * *
Les retours de voyage, même au terme dâune absence aussi courte, valaient de douces retrouvailles. Charles se leva un peu plus tard, heureux de ne pas avoir à conduire ses enfants à lâécole. Le déjeuner se déroula dans une atmosphère plutôt joyeuse, comme si le congé signifiait le retour inopiné des grandes vacances.
Un peu avant neuf heures, lâhomme se décida pourtant à affronter lâautomne particulièrement maussade. Une pluie froide, poussée par un vent du nord-est, lui fouetta le visage durant tout le trajet jusquâà la côte du Palais. Lâeau, sâinsinuant par le col de son imperméable, le trempa à moitié. Les corridors de lâHôtel-Dieu se révélèrent inhabituellement silencieux, si lâon arrivait à ignorer les quintes de toux étouffées.
En pénétrant dans la première salle réservée aux malades, il la découvrit à moitié vide. Aucune religieuse ne se tenait là pour prendre soin des patients. Le premier sur lequel il se pencha lui demanda dâune voix haletante :
â Passez-moi la bouteille pour pisser.
Hamelin marqua une hésitation, puis répondit :
â La sÅur va sâen occuper.
â Je ne lâai pas vue depuis le lever du soleil.
Il chercha lâurinoir dans une armoire métallique placée à une extrémité de la pièce, se résolut à ausculter lâhomme au moment où celui-ci se soulageait.
â Votre état sâaméliore, vous sortirez dâici bientôt.
â En êtes-vous certain?
â Autant que je peux lâêtre avec cette satanée grippe.
Le malade marqua une hésitation, jeta un regard de côté avant de sâinformer :
â Lui?
Sur ce mot, lâhomme lui tendit le contenant de verre à moitié plein dâun liquide jaune orangé. Le médecin préféra ne pas répondre, tellement le pronostic risquait de ruiner le moral de son interlocuteur. Après avoir fait le tour des lits occupés, il passa dans la salle voisine. Cette fois, une hospitalière, pâle et un peu haletante, dispensait des soins. Le médecin arrivait à la fin de sa
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