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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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préférait la discrétion du grand commerce désert. Elle décrocha le cornet de bakélite pour le porter à son oreille, approcha l’appareil de sa bouche, attendit en vain l’intervention de la préposée.
    â€” Voyons, les journaux ne parlent d’aucune grève, grommela-t-elle.
    Pour attirer l’attention à l’autre bout du fil, elle agita à plusieurs reprises le support de l’écouteur afin d’interrompre et de recommencer la communication de façon répétée. Elle imaginait la salle de contrôle de Bell Canada, un grand panneau où une petite lumière clignotait au rythme de son impatience. Pourtant, personne ne vint répondre.
    Au bout de dix minutes de ce jeu, elle se lassa, remit son masque et quitta les lieux en replaçant son chapeau sur ses boucles noires. L’hôtel de ville se trouvait tout juste de l’autre côté de la rue. Une douzaine de femmes, toutes âgées de trente ans au moins, formaient une courte file d’attente devant la table placée dans le hall d’entrée. L’une après l’autre, elles venaient s’asseoir sur une chaise droite en face d’un petit fonctionnaire. Une conversation murmurée s’amorçait alors, toujours la même. Au moment de s’adresser à Thalie, l’homme rompit sa routine en la regardant dans les yeux :
    â€” Vous êtes très jeune. Nous voulons des personnes… expérimentées.
    Malgré le masque, Thalie trahissait son âge.
    â€” … Ces dames ne sont pas des infirmières.
    La conversation des personnes l’ayant précédée sur ce siège lui en avait donné l’assurance.
    â€” Mais toutes ont pris soin de familles nombreuses ou de vieux parents malades. Vous êtes encore une écolière, je parie.
    â€” Monseigneur a demandé des personnes de bonne volonté. J’en ai.
    Le petit homme continua avec sympathie :
    â€” Prendre soin des personnes victimes de l’épidémie sera certainement difficile et aussi très dangereux. Ces centres de soins seront des foyers de contagion. Écoutez mon conseil, contentez-vous de prier.
    La colère rendit plus sombre encore le regard de son interlocutrice. Elle précisa, la voix cassante :
    â€” Je suis étudiante en médecine à l’Université McGill. Je peux faire mieux que prier.
    â€” Êtes-vous la jeune Picard?
    La jeune fille hocha la tête, incertaine du résultat de ce constat.
    â€” Je ne vous reconnaissais pas, avec le masque. Comme vous habitez de l’autre côté de la rue, vous accepterez sans doute de vous rendre à l’Académie Mallet? Elle se trouve à quelques minutes à pied, tout au plus.
    â€” … Avec joie.
    La réponse lui parut inadéquate, dans les circonstances.
    Dans les minutes suivantes, elle fournit de nombreux renseignements personnels, étonnée que l’administration publique trouve nécessaire de créer un véritable dossier sur chacune des bénévoles. Quand elle sortit de l’édifice municipal, elle murmura :
    â€” Maintenant, la vraie difficulté sera d’annoncer cela à ma chère maman!
    Avec un peu de chance, une heure passée au bras de son amant aurait rendu sa bonne humeur à la commerçante.
    * * *
    La famille Picard se trouvait réunie dans la salle à manger du domicile de la rue Scott. Thomas présentait sa mine des mauvais jours. Le Soleil évoquait l’ouverture des centres de soins en première page.
    â€” On y trouve des centaines de lits, conclut-il en remettant le journal sur la table de service.
    â€” Tu crois que ce sera vraiment utile? demanda sa femme.
    â€” Sans doute. Des milliers de personnes viennent des campagnes afin de profiter des emplois de guerre. Juste à mon service, il y en a peut-être une centaine. Elles sont seules dans notre ville. Cette initiative permettra de leur venir en aide.
    Ã‰lisabeth demeura un moment songeuse, puis elle glissa :
    â€” Comme c’est triste. On demande des volontaires pour s’en occuper. Tu crois que je pourrais…
    L’homme faillit laisser tomber sa tasse de thé, tellement la suggestion le surprit.
    â€” Je te l’interdis absolument.
    Il reprit plus posément sans tarder, d’un ton plus amène :
    â€” Je m’excuse de t’avoir parlé ainsi… Mais

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