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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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c’est trop dangereux; je ne veux pas que tu t’exposes de la sorte.
    â€” Je n’ai jamais été malade, tu le sais bien.
    â€” … Justement, moi, je le suis, à ce qu’il paraît. Alors je réclame l’exclusivité de tes services.
    Assis avec eux à la table, en compagnie de sa femme, Édouard demeurait silencieux, hanté par les rumeurs circulant sur son ami Lavigueur. Les plus mauvais pronostics se murmuraient dans le creux de l’oreille, lors des rencontres entre collègues. Il regarda sa montre, soupira au moment de demander :
    â€” Papa, viendras-tu au magasin, aujourd’hui?
    â€” Ce n’était pas mon intention… Je ne voudrais pas que cette dame décide d’imiter Florence Nightingale, je vais la surveiller.
    Il désignait son épouse des yeux, une inquiétude un peu amusée sur le visage. Évelyne sortit de son mutisme pour murmurer :
    â€” Moi, je ne le ferai pas. Avec l’enfant…
    Personne ne parut s’intéresser à ses intentions.
    â€” Mais si tu crois que ma présence est nécessaire, continua Thomas, je peux changer mes plans.
    â€” Non, ne crains rien, je me tirerai d’affaire… Bon, je vais partir tout de suite.
    Au moment où il quittait la pièce, sa jeune épouse lui dit d’une voix lasse :
    â€” Bonne journée. Essaie de ne pas rentrer trop tard.
    Depuis quelques semaines, elle ne se donnait plus la peine de l’accompagner à la porte quand il se rendait au travail. Ce petit moment d’intimité lui paraissait maintenant superflu.
    â€” Bonne journée à toi aussi. Comme au moins le tiers des employés du magasin ne se présente pas à leur poste, je ne sais pas quand je terminerai.
    Les yeux sur son assiette, elle choisit de considérer cela comme un faux prétexte. Pourtant, la fermeture des lieux de loisir laissait bien peu l’occasion au jeune homme de courir la prétentaine. Ces jours-ci, seules ses obligations professionnelles risquaient de le détourner de ses devoirs domestiques…
    Une demi-heure plus tard, Édouard pénétra dans le commerce de la rue Saint-Joseph, marcha jusqu’à l’ascenseur pour se heurter à la porte close, ornée de la petite affichette « Hors de service ».
    â€” Donc, il ne va pas mieux!
    Depuis jeudi de la semaine dernière, le jeune garçon en uniforme rouge gardait le lit à cause de la grippe. Le directeur n’avait pas eu le cœur de le remplacer. En conséquence, la clientèle devait gravir les escaliers pour avoir accès aux nombreux étages de l’établissement.
    Au moment d’atteindre les locaux de l’administration, il s’arrêta devant le bureau de sa secrétaire, sourit pour la première fois de la journée en lui disant :
    â€” Je ne m’y ferai jamais.
    Elle portait toujours son masque, une pièce de coton attachée derrière la tête et autour du cou avec des rubans. Ses cheveux bouclés, coupés court, lui donnaient un air juvénile.
    Quand les grands yeux bruns se posèrent sur lui, il devina un dénouement cruel.
    â€” Monsieur Picard, je suis si désolée de vous apprendre la nouvelle. Tout le monde parle de cela ce matin, mais vous ne paraissez pas le savoir : votre ami Lavigueur est mort pendant la nuit.
    L’air manqua à ses poumons, il dut chercher la surface de la table de travail afin de se soutenir. Après un moment, le jeune homme prononça d’une voix blanche :
    â€” Êtes-vous certaine?
    Elle se troubla un instant. L’unanimité d’une rumeur en faisait-elle une vérité? Mieux valait demeurer prudente.
    â€” Plusieurs personnes me l’ont répété.
    â€” … Je vais aller voir au magasin de musique. Je reviendrai aussi vite que possible.
    De son pas vif, l’homme descendit l’escalier, emprunta la rue Saint-Joseph vers l’ouest. Au moment où il se présenta devant le commerce de son collègue, le commis plaçait des bandes de tissu noir dans la vitrine. Une photographie ornée d’un ruban de même couleur se trouvait disposée à côté de violons et de flûtes.
    * * *
    Depuis la veille, Thalie retardait le moment fatidique, effrayée de l’accueil réservé à sa décision. Sa mère était revenue de sa promenade de meilleure humeur.

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