La mort bleue
sein. Les doigts apprécièrent la rondeur, exercèrent une légère pression sur la pointe devenue turgide. Au même moment, de la main droite, il saisit son menton, tourna son visage à demi, chercha sa bouche avec la sienne.
Quatre ans plus tôt, ses premiers contacts intimes avec Eugénie avaient été fébriles et très maladroits. Ce soir, une grande sérénité lâhabitait. Depuis quatre ans, la domestique sâaffichait comme sa meilleure, plutôt sa seule amie. Au fil des mois, jamais ses yeux ne lui avaient reproché dâêtre trop gros ou chauve. Quand sa bouche atteignit lâautre bouche, il la trouva douce, déjà entrouverte. Caresser les lèvres de sa langue lui parut la chose la plus naturelle du monde. Il effleura les dents un moment, toucha bientôt lâautre langue, reconnut le goût sucré du sherry.
Après quelques secondes de ce contact, lâhomme sâéloigna un peu, regretta de ne pouvoir contempler les grands yeux bruns à sa guise, à cause de lâobscurité.
â Je suis amoureux de toi, Jeanne.
Plutôt que de protester, la jeune femme approcha ses lèvres un peu entrouvertes, chercha les siennes, lança sa langue à lâaventure. En se reculant après un moment, elle murmura :
â Nous ne pouvons pasâ¦
â Je ne veux plus accepter dâêtre malheureux. Jâaurais pu mourir, il y a quelques jours, sans jamais te dire que je tâaimais. Tu imagines le gâchis?
â Mais câest impossible. Vous êtes mariéâ¦
â Tu as mon mariage sous les yeux tous les jours. Tu y crois, toi?
Personne, dans la maison, ne se méprenait sur la vraie nature de cette union. Aucun veuvage nâétait plus cruel que cette comédie conjugale.
â Je ne sais pas⦠Je suis toute mêlée. Il vaut mieux que je monte tout de suite.
Elle posa le verre sur la table. Ce soir, elle ne prendrait pas la peine de le laver. Les jambes un peu flageolantes, elle se dirigea vers le couloir, sâengagea dans lâescalier. Au moment de mettre le pied sur la troisième marche, elle sentit la main de lâhomme prendre la sienne, la forcer à sâarrêter, à se tourner vers lui. Fernand encercla le corps de son bras, posa sa lourde tête entre ses seins sans prononcer un mot. Elle parcourut la couronne de ses cheveux de ses mains, embrassa doucement le front dégarni.
Avant de la libérer, son compagnon laissa glisser ses mains de la taille aux fesses, palpa doucement les globes jumeaux. En poursuivant son chemin jusquâà sa chambre, sous les combles, Jeanne dut poser une main sur la rampe dâescalier.
* * *
Le lendemain matin, un silence un peu lourd régnait dans la maison de la rue Dorion. Ãlise nâarrivait plus à dissimuler son inquiétude. Son visage morose déteignait sur celui des deux enfants. En fin de matinée, ils se tenaient lâun près de lâautre dans le salon, assis sur le canapé.
â Je nâai pas vu papa depuis longtemps, murmura Estelle.
Ãgée de huit ans maintenant, elle offrait une mine sérieuse, inquiète, même. Ses longs cheveux bruns sâornaient de rubans rouges, de longues boucles savamment produites grâce au fer à friser maternel. Ces derniers jours, lâhabiller et la coiffer meublaient les trop longs loisirs de la pauvre Ãlise.
â Tu sais bien quâil soigne des malades, répondit cette dernière, affalée dans un fauteuil.
â Si jâétais malade, intervint Pierre, il reviendrait à la maison.
Autant sa sÅur acceptait de servir de poupée pour tromper lâimpatience de sa mère, autant lui cultivait un air débraillé.
â Ne dis pas cela, sâinquiéta Ãlise, nây pense même pas.
Pour éviter de se répandre en pleurs devant eux, elle quitta la pièce, se réfugia dans sa chambre un long moment. Un peu plus tard, elle passa dans la cuisine pour se pendre au téléphone pendant une minute ou deux. à son retour dans le salon, elle trouva ses enfants exactement dans la même position.
â Cela vous dirait de voir grand-maman?
Lâabsence de toute réaction témoignait dâun enthousiasme fort limité.
â Elle va venir vous tenir compagnie pendant une heure, peut-être deux.
â Tu vas sortir? demanda Pierre, soucieux dâen
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