La mort bleue
dâune toux cruelle.
â Rentre chez nous ce soir, insista Ãlise. Estelle et Pierre sâennuient terriblement.
â Bientôt. Aussi vite que je le pourrai.
Des larmes sâéchappèrent des yeux de la femme, se perdirent sous le masque de coton. Elle fit le geste de sâapprocher de lui, il leva la main pour lâarrêter.
â Il vaut mieux éviter les contacts. Je dois être couvert de germes.
Sa compagne demeura interdite, puis elle se retourna en murmurant :
â Si tu tardes trop, ils ne te reconnaîtront plus.
Elle sortit dâun pas rapide, en pleurs. Afin de se donner le temps de reprendre sa contenance, elle décida de rentrer à la maison à pied.
* * *
Le lendemain, 20 octobre, Marie et Françoise se dirigeaient vers la cathédrale à lâheure de la messe basse. Gertrude préférait demeurer devant ses fourneaux. Certains jours de mauvais temps, sa jambe folle la faisait souffrir au point de la convaincre dâéviter soigneusement les escaliers.
Elles trouvèrent les portes closes. Sur les grands panneaux de bois, une affiche annonçait la suspension de toutes les cérémonies religieuses, excepté les baptêmes et les funérailles, sur lâordre du Bureau de la santé de la province.
â Câétait prévisible, commenta une voix masculine derrière elles.
â Commet cela? demanda Marie en se retournant.
â Si tout le monde se présente à la messe basse, les risques de contagion deviennent aussi élevés quâà la grand-messe. Le gouvernement nâavait plus dâautre choix.
Marie accepta le bras de Paul Dubuc, remarqua encore, en se mettant en route vers son domicile :
â Tu savais donc que la cathédrale serait fermée. Pourquoi être venu jusquâici?
â Pour te voir. Comme tout ce monde, tu étais condamnée à venir te cogner le nez à une porte close. La décision a été prise tard, hier soir. Il nâexistait aucun moyen de faire connaître la nouvelle. à la nuit tombée, lâusage de voitures avec des haut-parleurs aurait soulevé la colère.
Les uns après les autres, les paroissiens venaient lire la grande affiche calligraphiée à la main, avant de rentrer chez eux.
â Et, continuait Dubuc, pour être tout à fait honnête, jâespérais recevoir une invitation à déjeuner⦠en plus de lâinvitation à dîner.
â Si tu continues dâêtre aussi aimable, je veux bien te recevoir à tous les repas.
En sâengageant dans la rue de la Fabrique, le député passa son bras gauche autour de la taille de sa fille, lui demanda avec sollicitude :
â Tu vas bien? Je te trouve les traits un peu tirés.
â Cela doit tenir à lâinaction⦠Les journées passent lentement depuis la fermeture de la boutique.
â Tu prends bien soin de toi, jâespère.
Elle hocha la tête, sans lever les yeux vers lui.
Gertrude ne montra aucune surprise à les voir revenir aussi tôt. Le déjeuner se déroula lentement, au gré des commentaires sur la politique européenne. Ils se levèrent de table après neuf heures, pour se réfugier dans le petit salon. Le bruit de la cloche, dans la cathédrale voisine, attira bientôt leur attention. Penchés à la fenêtre surplombant la rue, ils virent une procession sortir par les grandes portes du temple.
â Une procession du saint sacrement en cette saison? interrogea Marie à haute voix.
â Comme le bon peuple ne peut pas se rendre à Dieu, Dieu se rend auprès de lui. Voilà la trouvaille de M gr Bégin : le saint sacrement parcourra les rues de la paroisse Notre-Dame. Les curés feront la même chose dans Saint-Roch, Saint-Sauveur, Jacques-Cartier⦠Enfin, partout.
â Ce nâest tout de même pas notre vieux cardinal qui arpente les rues par ce temps de chien.
â Non, regarde, il sâagit de M gr Marois. Il a sans doute revêtu deux paires de caleçons afin de se tenir au chaud.
Paul Dubuc contempla la courte procession, composée dâun enfant de chÅur secouant un ostensoir à la volée, du prélat sous un dais porté par des marguilliers, des deux vicaires et dâun petit peloton dâétudiants en théologie du Grand Séminaire. Elle dépassait lâhôtel de ville quand
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