La mort bleue
venir tout de suite au fait.
â Oui⦠Je veux aller voir papa.
â Moi aussi, clama Estelle en quittant son siège.
Tout de suite, Pierre dit la même chose, vint se tenir près de sa sÅur, de lâespoir dans les yeux.
â Vous ne pouvez pas mâaccompagner. Vous allez attendre mon retour avec grand-maman.
â Pourquoi? firent deux voix à lâunisson.
â ⦠Câest trop dangereux. La contagion!
Le mot éveillait des images étranges dans les deux jeunes esprits. La plus effrayante leur faisait imaginer des êtres minuscules rampant sur les murs et les planchers, en regardant vers eux avec colère.
â Mais, si toi tu y vas, tu peux aussi tomber malade, argumenta Pierre.
Câétait là la faille du raisonnement de la jeune mère de famille. Si elle pénétrait dans un foyer dâinfection, son retour à la maison exposerait les enfants à leur tour.
â Je ferai très attention, je te le jure.
Le son dâun moteur, devant la porte, lui épargna une longue explication sur ses motifs de leur interdire une visite dans un centre de soins.
â Voilà grand-maman. Vous me promettez dâêtre sages?
Sans répondre, ils regagnèrent leur siège, plus moroses que jamais. Ãlise ouvrit la porte pour découvrir sa mère arrivant sur le perron.
â Tu as dit au chauffeur de mâattendre?
â Comme dâhabitude.
La jeune femme chercha son manteau dans la penderie tout en demandant :
â Tu vas bien?
Elle voulait dire, en réalité : « Ãchappes-tu toujours à cette damnée maladie? »
â Pas lâombre dâun malaise, excepté toute la légion des maux affectant les vieilles dames.
â Et papa?
â Cela tient du miracle. Il sâagite dix-huit heures par jour depuis un mois tout en se portant très bien.
Ãlise plaçait son chapeau sur ses boucles brunes. Elle embrassa les joues maternelles avant de conclure :
â Je serai certainement de retour dans deux heures. Si tu peux les égayer un peu, je te serai reconnaissante. Leur père leur manque beaucoup.
Peu après, elle monta dans la voiture, donna lâadresse de lâAcadémie Mallet. Calée sur la banquette arrière, elle contempla les rues désertes, les rares passants affublés dâun masque. Le chauffeur du taxi portait aussi le sien. Ce dernier, suivant le cours de ses pensées, remarqua avec agacement :
â Nous semblons tous courir le Mardi gras.
â Pour vous, câest essentiel, avec tous les clients qui montent dans cette voiture.
â Vous savez, les passagers deviennent si rares. La plupart des citadins se terrent chez eux.
Puis, lâhomme demeura silencieux jusquâà la rue des Glacis. Il se tourna vers sa passagère, le temps de recevoir les pièces de monnaie dans sa paume gantée. Sur le trottoir, Ãlise contempla la grande porte de chêne, grimpa les quelques marches. En entrant, elle se trouva devant une religieuse masquée, elle aussi.
â Je désire voir le docteur Hamelin.
â ⦠Je regrette, mais câest impossible, avec tous ces malades.
Dâun geste vague, elle désigna le couloir donnant accès à la salle académique.
â Câest mon mari.
La sÅur grise demeura un moment interdite, soupçonna une mauvaise nouvelle. à la fin, elle la conduisit dans la grande pièce voisine. Une vingtaine de couchettes, distribuées sur quatre rangées bien alignées, recevaient autant de malades. Dans un vêtement blanc, une coiffe de même couleur, un masque sur le visage, le docteur Charles Hamelin, flanqué dâune petite silhouette féminine, se penchait sur lâun dâentre eux. Il leva les yeux un instant, la reconnut. Après un mot à son assistante, il marcha vers elle, demanda dâune voix préoccupée :
â Ce sont les enfants? Sont-ils malades?
â Les enfants se portent bienâ¦
â Dans ce casâ¦
Il marqua une pause, les yeux fixés sur ceux de son épouse.
â Nous sommes samedi, nous ne tâavons pas vu depuis lundi. Viens dormir à la maison ce soir. Tu nous manques tellement.
â Je sais, je comprends. Mais lâépidémie ne nous donne aucun répit.
Tout en lui parlant, le praticien surveillait Thalie des yeux. Elle se précipitait vers un malade agité
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