La mort bleue
Françoise, contre son épaule, commença à tousser.
Lâhomme se retourna, posa sa paume contre le front de sa fille.
â Ma foi, tu fais de la fièvre.
Le constat leva sa dernière retenue, elle sâabandonna à sa toux, au point de devoir sâappuyer dâune main sur le mur.
â Je pense que jâai la grippe, réussit-elle à articuler.
â Depuis quand? questionna Marie. Je nâai rien remarquéâ¦
â En me levant, jâai ressenti une douleur dans les épaules, dans les brasâ¦
Son hôtesse lâaida à regagner son fauteuil habituel en disant :
â Je peux tâaccompagner dans ta chambre, si tu préfères.
â Non, je veux rester avec vous.
â Dans ce cas, je vais chercher une couverture.
Avant de partir, elle approcha un pouf, se pencha pour y poser elle-même les pieds de la jeune fille. Elle quittait la pièce quand Paul demanda :
â As-tu quelque chose à lui donner?
â Le sirop Lambert ou le sirop Gauvin⦠Jâen ai acheté des bouteilles la semaine dernière. Tous les journaux affirment quâil sâagit dâun remède efficace.
â Ces articles sont payés par les sociétés productrices de ces fameux élixirs.
Tout de suite, lâhomme regretta ses mots. Douter à haute voix de lâefficacité des médicaments ne rassurerait pas la malade. Il passa dans la cuisine, sâadressa à la domestique penchée sur sa cuisinière au charbon :
â Ma fille a la grippe, je pense.
â La grippe espagnole?
Il leva les épaules, marmonna :
â Comment puis-je le savoir?
Gertrude fit le signe de croix, comme si cela pouvait chasser les germes.
â Connaissez-vous quelque chose pour soulager sa toux? Pauvre petite, vous lâentendezâ¦
Une nouvelle quinte secouait Françoise.
â Je vais faire bouillir de lâeau, ajouter un peu de jus de citron et du miel.
La mixture lui parut tout de suite plus fiable que les potions vendues dans les journaux. Il hocha la tête en guise dâassentiment, retourna dans le salon pour trouver la jeune fille à demi étendue, emmitouflée dans une couverture de laine.
17
Pour le septième jour dâaffilée, Thalie revint à lâappartement passé huit heures. Parfois, elle arrivait aussi tard que neuf heures. Chaque fois, après avoir salué sa mère, elle trouvait une assiette dans la salle à manger. Ce repas, le seul complet de la journée, elle lâavalait sans le goûter, pressée de regagner son lit pour un sommeil sans rêves.
Ce soir-là , Marie la reçut sur le pas de la porte, saisit ses mains en disant :
â Françoise est malade.
Plus personne ne précisait la nature du mal dâun proche. Le glas sonnait exclusivement pour les grippés, semblait-il. La nouvelle venue détacha son manteau avec empressement.
â Ce matin, elle se portait bien.
â Elle a commencé à tousser avant midi.
â Où est-elle?
â Dans sa chambre. Je ne sais pas quoi faire⦠Jâai téléphoné au docteur Caron, il mâa dit de rappeler si la situation se dégradait.
Débarrassée de son paletot et de son chapeau, elle se précipita dans la chambre de son amie, trouva Gertrude penchée sur le lit afin de la faire boire.
â Elle est toute mouillée, murmura la domestique en levant la tête.
â Tous les malades sont pris dâune bonne suée.
Elle parlait avec le ton dâune nouvelle experte.
â Peux-tu mâapporter de lâeau froide? Je vais la laver, cela fera baisser un peu la fièvre.
De la paume, elle caressa le front moite, fixa son regard dans les yeux gris remplis de terreur. Ses doigts replacèrent les cheveux en désordre de chaque côté du beau visage. Françoise fut prise dâune quinte de toux. Thalie lâaida à sâasseoir, la tint dans ses bras un moment afin de lui permettre de respirer un peu plus librement.
â à chaque fois, râla-t-elle, jâai lâimpression que ma poitrine va éclater. Je suis en feu.
â Une fois la sueur lavée, une chemise de nuit bien fraîche sur le dos, tu iras mieux.
â Jâétouffeâ¦
â Avec plusieurs oreillers, tu pourras être assise dans le lit. Vois-tu comme cela te permet de mieux respirer?
Pendant de longues minutes,
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