La mort bleue
Thalie la tint dans ses bras, sa joue contre lâautre joue brûlante. Elle percevait la chaleur de la peau à travers le tissu du masque. Quand Gertrude posa le plat de porcelaine sur le chevet, elle lâaida à se coucher, commença à défaire les boutons de la chemise de nuit. Françoise la laissa faire un moment, puis elle saisit les doigts en disant dâune voix éteinte :
â Cela me gêneâ¦
â Voyons, nous sommes comme des sÅurs.
De nouveau, elle la soutint pour quâelle se mette sur son séans, fit glisser le vêtement sur les épaules.
â Tu vas me voirâ¦
â Comme je suis construite de la même façon, je ne connaîtrai aucune mauvaise surprise.
Thalie lâaida à se recoucher, demanda lâassistance de Gertrude pour faire passer la chemise sous les fesses, dégagea les longues jambes.
â Tu veux trouver un autre vêtement bien propre et nous laisser seules ensuite?
La domestique fouilla dans la commode, posa une chemise de lin sur la chaise placée près du chevet, puis quitta les lieux. La jeune fille prit la pièce de tissu dans le bassin de porcelaine, la tordit un peu avant de la passer sur le visage fiévreux, descendre sur le cou, parcourir le haut de la poitrine. Françoise se préoccupa encore de sa pudeur :
â Ne me regarde pasâ¦
â Je mentais tout à lâheure, je ne suis pas bâtie comme toi. Tu es bien plus jolie. Détends-toi un peu. Dans un moment tu seras recouverte des pieds à la tête et tu te sentiras beaucoup mieux.
La jeune fille sâabandonna, les yeux clos. Comme promis, quelques minutes plus tard, une chemise propre dissimulait tout le haut de son corps.
â Je vais chercher des oreillers dans ma chambre. Je reviens tout de suite.
Dans le couloir, Thalie trouva sa mère près de la porte, les traits toujours burinés dâinquiétude.
â Elle ne va pas trop mal?
â Ce sont les symptômes de la grippe. Lâeau chaude et le miel que lui prépare Gertrude calmeront un peu la toux.
â Elle ne va pasâ¦
â Voyons, maman, ne pense même pas à cela.
La femme secoua la tête, comme pour chasser lâimage de la mort. Elle continua :
â Paul a dû retourner à lâhôtel du Parlement pour une réunion. Il vient de téléphoner, il aimerait revenir iciâ¦
â Je ne sais trop⦠Il a déjà eu le temps dâêtre contaminé, mais sâil ne lâest pas encore, prendre le risque de sâexposer une fois de plus me paraît bien inutile.
â Il sâinquiète.
â Nous nous faisons tous du souci, ce soir.
Elle disait cela dâun ton désolé, bien consciente de représenter la plus grave menace pour les habitants de cet appartement. Pouvait-elle avoir transmis la grippe à Françoise sans en ressentir elle-même les symptômes? Le lendemain, elle poserait encore la question au docteur Hamelin.
â Je lui dirai quâil serait plus prudent de ne pas revenir ici. De toute façon, Amélie doit se morfondre toute seule à Rivière-du-Loup. Il devrait aller la rassurer.
La jeune fille acquiesça, passa dans sa chambre pour revenir très vite avec tous ses oreillers. Elle expliqua, cette fois à lâintention de Gertrude, revenue offrir sa collaboration :
â Si tu en trouves encore un ou deux, nous allons tenter de la placer en position assise. Elle respirera un peu mieux.
Finalement, Thalie ne quitta pas le chevet de son amie avant minuit. Marie vint prendre le relais quand elle consentit à aller se reposer un peu. Gertrude monterait la garde à son tour, à compter de cinq heures du matin.
* * *
Après un peu plus de cinq heures dâun sommeil de brute, Thalie se leva comme une automate, repéra ses vêtements là où elle les avait laissé tomber la veille. En entrant dans la salle à manger, elle se trouva devant sa mère.
Les traits tirés, celle-ci décréta :
â Tu ne vas pas retourner là -bas ce matin.
â Câest mon devoir.
â Ah! Non, pas toi aussi. Jâen ai assez de cette sottise. Lâargument lui demeurait en travers de la gorge depuis le départ de Mathieu pour lâEurope. Sa fille se contenta de lui adresser un sourire désarmant, puis elle demanda :
â Françoise a-t-elle passé une bonne
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