La mort bleue
nuit?
â ⦠Même si jâai eu envie de la recoucher de tout son long, oui, je dois dire quâelle a dormi sans se réveiller trop souvent.
â Elle respirera mieux redressée de cette façon. Cette posture dégage les poumons. Même si elle proteste un peu, fais-lui boire du bouillon. Elle ne doit pas trop sâaffaiblir.
Tout en parlant, elle avalait son gruau. Marie comprit quâà moins de lâattacher sur la chaise, elle ne lâempêcherait pas de retourner à lâAcadémie Mallet. Au moment où Thalie passait la porte, la mère gagna sa chambre afin de récupérer un peu du sommeil perdu.
En entrant dans le centre de soins, la jeune fille rencontra le docteur Hamelin dans le hall. Celui-ci paraissait sâactiver depuis longtemps déjà . Il murmura :
â Vous arrivez un peu tard.
â Quelquâun est malade à la maisonâ¦
â Je suis désolé, je ne savais pas.
â Puis-je vous demander de passer? Maman a appelé le docteur Caron, celui-ci nâa pas pu se déplacer.
Les yeux grands ouverts de la jeune fille, au-dessus du masque, révélaient des iris dâun bleu sombre, propres à séduire. Que le reste du visage demeure caché par le masque ajoutait à leur expression. Le médecin esquissa un geste dâimpuissance en répondant :
â Je ne peux pas sortir dâici, vous le savez bien.
â Je mâinquiète pour elle.
â ⦠Je prendrai une minute tout à lâheure pour téléphoner au docteur Caron. Câest mon beau-père. Il ne me refusera pas ce service, comptez sur sa visite. Maintenant, les malades de la classe des grandes se languissent de vous.
â Merci.
Elle disparut de son pas vif. Une demi-douzaine de bassines malodorantes lâattendait sans doute.
* * *
Paul Dubuc se tenait sur le trottoir, un masque sur le visage, devant la porte du commerce ALFRED. Dans la bâtisse, en retrait de deux pas, Marie expliquait :
â Le docteur Caron est passé tout à lâheure. Ses poumons demeurent dégagés, il mâa dit de ne pas trop mâinquiéter, elle a de bonnes chances de se remettre dâici quelques jours.
â Jâaimerais la voir.
â Ce soir, tu seras avec Amélie.
â Justement, cela me coûte tellement de ne pas lui parler avant de prendre le train.
Le dilemme demeurait entier. Tout le monde craignait la contagion, sans en comprendre tout à fait le mécanisme.
â Hier, jâétais avec elle, insista-t-il. En quoi la voir aujourdâhui changera-t-il quelque chose?
â ⦠Je ne le sais pas. Mais le docteur Caron paraissait aussi douter de lâà -propos dâune rencontre. Je lui ai posé la question.
Lâhomme baissa la tête, lâcha un juron dans son masque, puis il ajouta du ton de la prière :
â Vas-tu la saluer pour moi?
â Bien sûr. En montant, je lui dirai combien tu as de la peine de ne pas pouvoir la voir.
â Ce soir, je vais téléphoner. Si elle peut venir à lâappareilâ¦
â Il se trouve dans la cuisine et le docteur a recommandé de la garder au lit les quatre prochains jours au moins.
Paul trahit sa colère par un autre geste brusque, puis réussit à se maîtriser pour dire :
â Je te suis très reconnaissant de ton aide. Si je rage de ne pas être auprès dâelle, personne ne sâen occuperait mieux que toi. Jâen suis certain et cela me touche beaucoup.
â Je le fais par amour pour elle, mais aussi pour toi.
Il porta sa main gantée à sa bouche couverte du masque, fit le geste de lui souffler un baiser. Elle fit exactement la même chose, ferma la porte et, le front appuyé sur la vitre, elle le regarda sâéloigner.
* * *
En soirée, Thalie sâoccupa encore de la toilette de son amie, puis elle demeura à son chevet jusquâaprès minuit. Au matin, après une nuit trop courte, elle avala de nouveau son petit déjeuner en compagnie de sa mère. Cette fois, cette dernière ne chercha pas à la dissuader de retourner au centre de soins. Sous les grands yeux, des cernes profonds témoignaient de sa fatigue et de son inquiétude.
Toutefois, dix minutes après le départ de son enfant, Marie endossa son paletot à son tour pour sortir rue de la Fabrique. Dans la vitrine de la plupart des
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