La mort bleue
lâextérieur, sans douteâ¦
Le secrétaire sâinterrompit encore, sentant une présence à ses côtés. Ãdouard se tenait à quelques pas, une expression de colère sur le visage.
Thomas nâentendit pas les derniers mots, ne remarqua pas le nouveau venu. La douleur irradia dans sa nuque, un brouillard sembla réduire sa vision. Il sentit ses jambes ployer sous son poids, réussit à se retenir à la poignée de porte avec assez de vigueur pour ne pas choir comme un sac. Tout de même, quand le mot « Papa! » retentit, il se trouvait sur ses genoux.
* * *
Trois employés furent nécessaires pour le conduire jusquâà la Buick stationnée près du service de livraison. Heureusement, un monte-charge permit un départ assez discret. Alarmer les employés ou susciter les ragots des clients ne servirait en rien le bien de lâentreprise.
Une fois installé sur la banquette arrière de la voiture, lâhomme avait retrouvé peu à peu ses esprits, la douleur dans son crâne sâestompait. Une fois à la maison, il avait assez récupéré pour descendre du véhicule avec la seule aide de son fils et marcher jusquâà la porte en sâappuyant sur son bras.
Il aurait voulu donner le change, évoquer encore un malaise digestif. Lâacuité du regard dâÃlisabeth ne négligeait rien.
â Mon Dieu! Dans quel état es-tu! sâécria-t-elle en arrivant dans lâentrée, attirée par le bruit inhabituel à cette heure.
â Ce nâest rien! Un petit étourdissement. Maintenant, tout est rentré dans lâordre.
Plutôt que de lui arracher des bribes dâinformation, la femme préféra sâadresser à une autre source. Des yeux, elle interrogea Ãdouard. Jamais le garçon nâavait pu sciemment lui mentir. En cette circonstance, il nâavait aucun motif de le faire :
â Papa sâest effondré devant la porte de son bureau.
â Je nâai même pas vraiment perdu conscience, protesta-t-il. Un petit étourdissement, mes genoux ont cédé.
Elle posa ses yeux bleus dans les siens. Un peu comme un gamin pris en faute, il baissa la tête et admit :
â Bon, peut-être une seconde dâinconscience, pas plus.
Saisissant son bras, Ãlisabeth dit, la sollicitude se mêlant au reproche :
â Et tu restes debout devant la porte. Viens tâasseoir.
Elle le guida vers la bibliothèque aux murs lambrissés de noyer noir. Deux fauteuils se trouvaient de part et dâautre dâun foyer, heureusement éteint en cette saison. La pièce fournissait un endroit idéal pour le travail, où le maître des lieux allongeait indûment ses journées depuis plus de vingt ans.
â Ãdouard, appelle immédiatement le docteur Caron. Insiste au nom de notre vieille amitié, il doit venir tout de suite.
â Un petit cognac et je serai totalement remis.
Le regard de sa compagne convainquit Thomas dâabandonner lâidée dâun médicament de ce genre.
* * *
Le docteur Caron arriva environ trente minutes plus tard, moins au nom dâune vieille amitié quâen raison du temps, superbe en ce 8 juin. La maladie paraissait sévir plus souvent quand il devenait maussade, pour se retirer les jours de grand soleil. En conséquence, son cabinet se vidait.
Thomas se trouvait toujours affalé dans un fauteuil couvert de cuir, les yeux mi-clos. Sa femme ne savait trop si gravir lâescalier, pour regagner son lit, présentait un danger pour lui. Elle avait préféré le laisser là . Le praticien commença par demander :
â Alors, voisin, vous avez décidé de ruiner mon samedi en tournant de lâÅil?
â Mais non, ce nâest rien. Cependant, ma femme insiste.
â Je me disais aussi quâil se trouvait au moins une personne raisonnable dans cette maison.
Le ton badin dissimulait une efficacité discrète. Il souleva les paupières du malade pour lui regarder le blanc des yeux, posa le bout de ses doigts sous les oreilles pour tâter le pouls une première fois, confirma son impression première en saisissant lâintérieur de son poignet gauche.
â Maintenant, madame Picard, comme votre mari doit me montrer sa poitrine, je vais vous demander de quitter la pièce.
â Voyons, câest mon
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