La mort bleue
mari.
â Mais peut-être sâagit-il de préserver ma pudeur, pas la sienne ou la vôtre. Surtout, les spectateurs ruinent ma concentration.
Ãdouard sâétait déjà retiré de lâautre côté du couloir, dans le salon. Elle se résigna à le rejoindre après un moment dâhésitation. Dès que la porte fut refermée, Caron demanda en prenant son stéthoscope dans son sac de cuir :
â Détachez votre chemise, je tiens à entendre votre cÅur.
Thomas détacha les boutons lentement, révélant sans le vouloir ses ongles un peu bleutés. Pendant un long moment, le praticien promena lâextrémité circulaire et froide de son instrument sur la poitrine. à la fin, il le rangea dans son sac et sâassit dans le second fauteuil.
â Votre pouls nâest pas très fort et un peu trop rapide à mon goût. Votre cÅur bat à un rythme un peu irrégulier.
â Est-ce grave, cela?
â Pas nécessairement. Mais vous nâêtes pas en bonne santé. Vous me paraissez épuisé.
Le malade secoua la tête, admit avec une certaine gêne :
â Un commerce comme le mien, avec en plus la production de guerre dans les ateliers⦠Cela finit par peser sur les épaules. Je me sens fatigué, mais il faut bien continuer.
â Votre fils ne peut pas prendre un peu plus de place?
Ãdouard avait suffisamment fréquenté le domicile de Caron pour que le médecin se fasse une idée assez juste du personnage. Dix ans plus tôt, il lui aurait même conféré le titre de gendre passable, si une demande en mariage avait suivi un petit moment de fréquentations avec Ãlise. Bien que son jugement à cet égard fût maintenant un peu plus sévère, cela ne réduisait en rien son potentiel en tant que commerçant de détail.
â Je suppose que oui, admit Thomas après un silence. Mais il est si jeuneâ¦
La réticence de son patient incita le praticien à changer à la fois de sujet et de ton :
â Les gens ne perdent pas conscience pour rien. Dans le quartier Saint-Louis, tout le monde sait combien vous êtes occupé, moi autant que les autres. Alors peut-être sâagit-il dâun simple épuisement. Dans ce cas, le meilleur remède serait de prendre deux semaines de repos complet, de manger légèrement et de prendre lâair.
â Mais cela peut être plus grave?
â Oui. Je vous conseille de vous présenter, dès lundi matin, au bureau de mon gendre, Charles Hamelin, pour un examen plus complet. Non seulement je lui dirai de vous réserver du temps, mais je ferai savoir en sortant à Ãlisabeth que vous devez vous y présenter. Je la connais assez pour savoir que vous serez là , même si vous aimeriez mieux vous défiler, sans doute.
Thomas en convint sans hésiter :
â Elle serait sans doute disposée à mâassommer pour mây emmener de force.
â Ce qui en fait une femme sensée.
Le visiteur sâapprêtait à quitter la pièce, son sac à la main.
â Pourquoi me faites-vous voir Hamelin? Vous êtes mon médecin depuis des années.
â Je ne suis pas plus jeune que vous. Je préfère mâappuyer sur lui et éviter de mâépuiser au point de perdre conscience. Suivez mon exemple. On ne sâen porte pas plus mal.
* * *
Ãlisabeth mit donc tout en Åuvre pour que son époux se présente à son examen médical et, de surcroît, elle lâaccompagna. Aucune protestation nâaurait pu la convaincre de rester à la maison, aussi il céda bien vite. Au fond, la présence féminine lâaidait à surmonter la profonde inquiétude que lui inspirait sa condition.
Le cabinet se trouvait tout près, dans la rue Claire-Fontaine. Après le mariage de sa fille, le docteur Caron avait trouvé sa maison très grande. Dâun autre côté, il désirait aider son gendre à bâtir sa clientèle dans ce quartier bourgeois. Son bureau de consultation occupait déjà une partie du rez-de-chaussée. En supprimant une cloison et en exilant le boudoir à lâétage, un second cabinet jouxtait maintenant le premier. à neuf heures pile, Charles Hamelin en ouvrit la porte pour appeler :
â Monsieur Picard? Si vous voulez venir avec moi.
Ãlisabeth se cramponnait au coude
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