La mort bleue
de son époux. Le médecin lui adressa un sourire chargé de sympathie, mais précisa :
â Pour un examen, si le patient est un adulte, je préfère le voir seul à seul.
â Câest mon mari⦠protesta-t-elle, une nouvelle fois.
â Donc, câest bien un adulte.
La déception sur le visage de la jolie femme lâamena à un compromis :
â Restez dans la salle dâattente pendant lâexamen. Si monsieur Picard le permet, je vous ferai entrer au moment de poser mon diagnostic.
Le malade échangea un regard avec sa compagne, puis celle-ci donna son assentiment dâun signe de la tête. Quelques minutes plus tard, Thomas se tenait en caleçon, debout dans le cabinet, un stéthoscope lui parcourant la poitrine. Jusque-là , lâabsence de témoin ne lui paraissait pas essentielle. Il changea un peu dâavis quand ses testicules se trouvèrent prises dans une main rugueuse, puis totalement, au moment où deux doigts sâenfoncèrent dans son anus. Son « ouch » méritait la plus grande intimité. Un regard féminin, dans ce moment dâabandon, lâaurait fait rougir comme une pivoine.
Un moment plus tard, quand le pantalon fut remonté, les bretelles sur les épaules, il sâattendit à voir le médecin faire entrer sa femme. Ce dernier lui désigna plutôt un tabouret.
â Mon beau-père mâa dit que vous avez perdu conscience dans votre magasin.
â Je ne pense pas⦠enfin, si jâai perdu connaissance, ce fut un temps très court.
Hamelin demeurait silencieux, les yeux fixés sur lui. Il ajouta encore :
â Mes genoux se sont dérobés sous moi.
â Quâavez-vous ressenti auparavant?
â Un fort mal de tête, puis ici aussi, comme avec la grippe.
Du geste, il désignait son épaule et son bras gauche.
â Autre chose?
â Depuis le matin, je me sentais dâune humeur massacrante⦠Contre mon fils, si vous devez tout savoir.
Lâautre afficha une mine amusée, puis précisa :
â Pas tout, mais presque. Avec votre femme, comment les choses évoluent-elles?
â Je ne comprends pasâ¦
â Nous ne sommes pas des enfants, nous pouvons aborder ces sujets sans gêne.
Le patient serra les fesses en pensant aux doigts inquisiteurs. Des confidences, même intimes, se révéleraient moins intimidantes que cet épisode.
â Bien sûr, ma fougue nâest plus la même, mais dâun autre côté, vous lâavez vue. Couché à côté dâelle, je ne reste pas longtemps de bois.
â Et mourir à la besogne avec elle ne vous semblerait pas un si grand sacrifice.
â Précisément.
â Demeurez-vous aussi comblé quâil y a dix ans?
Le souvenir du bal tenu au moment du tricentenaire lui revint en mémoire.
â En 1908, Ãlisabeth retenait lâattention du prince de Galles. Je suis peut-être moins⦠frénétique aujourdâhui. Les choses sont un peu différentes entre nous, mais certainement pas moins agréables. Il ne se passe jamais plus de trois jours sansâ¦
Lâaveu fit monter un peu de rouge à ses joues.
â Vous voilà donc avec une excellente raison de faire attention à vous. Ce serait dommage de ne pas profiter de sa présence pendant encore un long moment.
La perspective dâun nouvel ascétisme devenait certainement moins rebutante avec cet objectif en tête. Car le commerçant se doutait bien de la suite de la conversation : il devrait faire le deuil de ses principaux petits plaisirs. Il fut un peu surpris quand le médecin demanda encore :
â à quel âge votre père est-il décédé et de quoi est-il mort?
La question lui fit lâeffet dâun coup de masse en plein front. Après une longue hésitation, il confessa dans un souffle :
â Il venait dâavoir cinquante-huit ans⦠Cinq de plus que moi aujourdâhui.
Lâhomme chercha dans la pièce aux murs immaculés quelque chose pour accrocher son regard. Les lieux paraissaient aseptisés, sans personnalité. Puis à la fin, il réussit à trouver assez de contenance pour dire :
â Il a eu une attaque. Il sâest effondré dans la rue, en revenant du magasin.
Hamelin laissa encore un moment à son patient. Ãtablir à haute voix le lien
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