La mort bleue
demeurait incertaine. Dâun autre côté, elle tenait à mettre de lâordre dans ses propres idées avant de se trouver face à eux. Elle se résolut à leur téléphoner en soirée.
Le lundi en matinée, Ãdouard arriva à lâhôpital. Il se pencha sur le lit, lança dâun ton faussement joyeux :
â Papa, quel farceur tu fais! Jâai eu une belle frousse.
â Moi aussi, je te lâassure.
Thomas parlait dâune voix légèrement plus assurée. Sa bouche demeurait un peu tordue, tout le côté gauche nâétait plus paralysé mais restait très faible. Son teint, moins grisâtre, laissait croire que la mort desserrait son étreinte.
â Crois-tu être en mesure de revenir à Québec?
â Ces religieuses vont me rendre fou. Je veux rentrer à la maison.
â ⦠Cela me semble réalisable. Il faudra obtenir de lâaide pour la durée du trajet et même une fois rendus à la maison. Je ne saurais pas mâoccuper de toi, maman non plus.
â Une infirmièreâ¦
Le jeune homme hocha la tête.
â Je suppose quâelles sont des dizaines à avoir été formées pour aller travailler dans les hôpitaux des Flandres. Nous en trouverons bien une désireuse de surveiller un vieux libéral. Je vais régler ça.
Ãdouard se leva pour gagner la porte. Il demanda, au moment de sortir :
â Viens-tu avec moi, maman?
Ãlisabeth quitta sa chaise pour aller le rejoindre.
â Reviens vite, sâil te plaît, fit une voix plaintive depuis le lit.
Elle regarda son mari, donna son assentiment dâun signe de tête. Une fois dans le couloir, le fils abandonna son air bon enfant pour laisser libre cours à son inquiétude.
â Quâest-ce qui sâest passé?
â Comme je te lâai dit au téléphone hier, Thomas a subi un accident vasculaire cérébral.
â Exactement la même chose que Laurier. Câest pousser la fidélité un peu loin⦠Cela est-il arrivé en pleine rue?
â Nous avons regardé le cortège funèbre passer devant nous, puis il sâest écrasé comme une masse. Sur le coup, il ne voyait plus de lâÅil gauche, tout un côté de son corps était paralysé. Maintenant, il a retrouvé un peu de mobilité.
Ãdouard paraissait profondément ému, comme sâil commençait tout juste à comprendre combien son père avait frôlé la mort.
â Que dit le médecin?
â Selon lui, après trois heures, les chances de se remettre sont bonnes. Après deux jours, nous pouvons être rassurésâ¦
Toutefois, le praticien ne sâétait pas montré dâun optimisme sans bornes. Le risque dâune récidive mortelle demeurait élevé dans les six mois suivant ce genre dâaccident.
â Tu comprends cependant quâil ne reprendra pas vraiment le travail. Enfin, pas avant très longtemps, et cela dans le meilleur des cas.
Ãdouard acquiesça dâun signe de tête, le visage très grave. Il avait attendu si longtemps ce moment de tenir tout à fait les rênes de lâentreprise et voilà quâun trac fou sâemparait de lui.
â Je vais prendre les arrangements pour son transport. Retourne auprès de lui. Il a semblé si inquiet de rester seul, tout à lâheure.
Depuis sa confession, le malade ne la quittait plus des yeux, implorant en silence son pardon. Au moment de le rejoindre dans la chambre, elle reçut encore la même prière.
â Je te le jure, je lâai fait pour nous, insista-t-il. Nous méritions un peu de bonheur. Je ne pouvais tolérer de la voir détruire tant de vies, tout en ne bougeant même plus de sa couche malodorante.
Ãlisabeth le contempla, puis demanda à voix basse :
â Te souviens-tu du jour où tu es venu me chercher au couvent?
â Comme si câétait hier.
â La supérieure tenait à me voir quitter les lieux tandis que moi, je réclamais dây demeurer pour toujours. Elle exigeait que je passe une année hors des murs du monastère avant de mâaccepter comme novice.
Thomas hocha la tête. Lâattitude de la directrice lui avait alors semblé un peu étrange.
â Elle me reprochait ma beauté. Un jour, elle a même déclaré que câétait lÃ
Weitere Kostenlose Bücher