La mort bleue
politicien ne renonçait pas à son projet de poursuivre sa carrière dans Québec-Est et déjà il cherchait un nouvel appui. Un silence embarrassé suivit ces mots. Heureusement, une jeune femme arriva sur les lieux, leur épargnant la nécessité de chercher un moyen de relancer la conversation.
â Voilà lâinfirmière dépêchée par lâOrdre de Victoria, annonça Ãlisabeth.
Lâuniforme de la nouvelle venue, visible sous son grand paletot bleu, témoignait bien de sa fonction.
â Odile Bouchard, précisa cette dernière.
Trouver une personne de langue française dans cette organisation tenait du tour de force. Ãdouard résolut dâenvoyer un mot de remerciement pour sa célérité à la religieuse à la tête du petit hôpital, en même temps que son chèque.
â Je ne veux pas vous chasser, enchaîna-t-elle en sâadressant à la ronde, mais il importe de ne pas fatiguer notre malade.
Ernest Lapointe prit ces mots comme un congé.
â Thomas, je vous souhaite la meilleure des chances et jâespère sincèrement que nous travaillerons ensemble.
â Ce sera un plaisir, répondit son interlocuteur, sans y mettre trop de conviction.
Le politicien serra encore la main du fils et de lâépouse avant de se retirer. Lâinfirmière se pencha sur son patient.
â Monsieur Picard, cette banquette se transforme en couchette. Je préférerais vous voir à lâhorizontal.
â Vous me le demandez si gentiment, je ne saurais vous dire non.
â Alors si votre fils accepte de mâaiderâ¦
Leurs efforts réunis permirent de débarrasser le malade de son manteau, sous lequel il ne portait quâun pantalon et une chemise de nuit, avant de le coucher. Ãdouard sortit ensuite pour rejoindre sa mère.
â Jâai réservé le compartiment à côté. Allons nous y asseoir. Le train partira dans une minute.
â Je te suis.
Quand le train quitta la gare, les paupières baissées, elle tentait de mettre de lâordre dans ses pensées.
* * *
La garde-malade de lâOrdre de Victoria assurait une présence discrète dans la grande maison de la rue Scott. Sous ses dehors modestes, Odile Bouchard savait donner des ordres. Dès le retour dâOttawa, elle décréta que le grand escalier représenterait un défi insurmontable pour son patient. Il fallait lâinstaller au rez-de-chaussée.
Le petit salon paraissait un choix naturel, la salle dâeau ne se trouvait pas trop loin. Thomas opposa son veto, jugeant néfaste le papier peint de couleur pastel pour un homme dans sa condition. Il proposa plutôt de sortir les fauteuils de la bibliothèque pour y mettre un lit. Lâinfirmière rétorqua en le fixant dans les yeux :
â Vous nâoseriez pas travailler en cachette?
Lâhomme baissa les siens. Lâidée lui en était venue.
â Jamais! affirma-t-il en retrouvant sa contenance.
â Dâaccord pour cette pièce, mais le bureau va sortir et je compte sur votre fils pour enlever tous les documents relatifs à vos affaires.
Puisquâelle nâévoquait pas le tabou de la politique, son interlocuteur se considéra comme chanceux. Il approuva dâun signe de la tête. Durant les semaines suivantes, il occupa la grande pièce où, au dire de sa femme, il avait allégrement « brûlé la chandelle par les deux bouts ». Près de la grande fenêtre, le lit dâÃdouard au temps de son célibat, tiré du grenier, lui permettait de dormir seize heures par jour. Près du foyer, les deux fauteuils lâautorisaient à recevoir les membres de sa famille, des voisins ou des amis, jamais plus dâune personne à la fois.
Le plus souvent, excepté Odile Bouchard, il ne voyait que sa femme. Depuis sa grande confession, une fois passé son désarroi premier, Ãlisabeth demeurait songeuse. Son existence à la fois paisible et confortable, toutes ces dernières années, résultait dâun meurtre. Sans le décès inespéré, que serait-elle devenue?
La question sans cesse retournée dans son esprit la conduisait à un bien triste constat. En 1897, les portes du monastère des ursulines se fermaient devant elle. Lâenseignement élémentaire aussi, malgré son brevet
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