La mort bleue
lâarme du diable.
â Une vieille folleâ¦
â Elle craignait que je devienne une occasion de péché.
à lâépoque, son innocence lâavait empêchée de comprendre les motifs de cette méfiance. Vingt ans de plus la rendaient moins naïve à ce propos. Même enfermées dans un couvent, les passions ne disparaissaient jamais du cÅur des femmes.
â Elle avait raison. Câest ma malédiction. Ma beauté a fait de toi un meurtrier.
â Ne dis pas de sottiseâ¦
â Tu viens de lâexprimer toi-même, tu lâas fait pour nous. Sans ma présence sous ton toit, cela ne serait jamais arrivé.
Le malade demeura interdit. Terrorisé par la probabilité de son décès imminent, il avait tenu à obtenir son pardon, le seul qui comptait vraiment. Moins de deux jours plus tard, elle paraissait prête à réclamer à son tour une absolution.
â La faute nous appartient à tous les deux, ajouta-t-elle. Ma clémence nâaurait aucun sens. Jâaimerais en parler avec un prêtreâ¦
â Ne fais pas cela.
Vingt-deux ans plus tôt, il lui avait reproché de trop en dire au curé de la paroisse Saint-Roch. Pourtant, il sâagissait à cette époque de jeux de main bien innocents.
Un moment plus tard, Ãdouard revenait dans la chambre, heureux dâavoir pu régler très vite les détails de leur retour à Québec.
* * *
Tout de même, le voyage prit bientôt lâallure dâune expédition périlleuse. Deux solides infirmiers portèrent jusquâà lâambulance le malade assis dans un fauteuil roulant. Après une balade dans les rues de la ville, ils durent répéter lâexercice pour le mettre à bord du train. Au moment où Thomas arrivait enfin dans le compartiment réservé pour lui, Ãdouard déclara, à demi amusé :
â Câest curieux, ce trajet mâa rappelé notre petit voyage dans Charlevoix, il y a presque vingt-trois ans. Te souviens-tu? Il avait fallu des hommes pour porter maman, je veux dire Alice, dans une calèche.
â ⦠Oui, je me souviens.
Lâallusion spontanée à sa première épouse, dans ces circonstances, le troubla fort.
â Je ne pense presque jamais à elle, continua le garçon. Mais jâai eu soudainement lâimpression de revivre une scène familière.
Ãlisabeth échangea un regard troublé avec son mari. Un bruit dans le couloir du wagon attira son attention. Elle sortit pour se trouver face à face avec Ernest Lapointe.
â Madame Picard, je suis si heureux de vous rejoindre à temps. Je me suis présenté à lâhôpital quelques minutes après votre départ, jâai demandé à mon chauffeur de se dépêcher jusquâici.
â Nous pensons que Thomas récupérera mieux dans notre domicile.
â Que dit le médecin?
â Il montre un optimisme prudent. Comparé à samedi dernier, le pronostic sâest amélioré de façon significative, même sâil convient de prendre les choses une étape à la fois.
Le politicien lui adressa un sourire plein de compassion, avant de demander :
â Puis-je le voir?
La femme hocha la tête et sâeffaça pour le laisser passer. Le colosse de Rivière-du-Loup pénétra dans le petit compartiment. En sa présence, lâespace devint soudainement très exigu.
â Mon ami, commença le politicien en tendant la main, je suis heureux de vous voir un peu mieux. Hier, la sÅur hospitalière mâa refusé lâaccès à votre chambre.
â Dans une autre vie, elle montait la garde devant les Enfers, comme Cerbère. Quant à ma condition⦠Vous le constatez, je ne mâengagerai pas tout de suite dans une campagne électorale.
â Vous nous avez habitués aux miracles.
â Je souhaite que vous ayez raison. Heureusement, dâici ce prodige, mes affaires seront entre bonnes mains. Vous connaissez mon fils, Ãdouard?
Le jeune homme se tenait au fond du compartiment, derrière le fauteuil roulant de son père. Il offrit la main au nouveau venu.
â Nous nous sommes déjà croisés, précisa-t-il, sans être présenté lâun à lâautre, toutefois.
â Mais je suis certain que nous aurons la chance de collaborer bientôt.
Le
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