La mort bleue
utilisateur de ma voiture pendant quatre ans. Je ne me trouve pas en demi-repos pour me transformer en chauffeur de maître.
Il sâarrêta, soudainement préoccupé, puis enchaîna :
â Tu vois ce que cela donne, parler de lui au lit. Si cela se produit trop souvent, je le déshérite.
Le changement dâhumeur tenait à la perte de son érection. Il poussa sur les épaules de sa femme afin de mettre son corps bien droit, regarda un moment avec admiration le torse dressé sur lui, la peau très blanche, le réseau de fines veines bleues sous la peau, les seins ronds, toujours très fermes. En levant les mains pour les empaumer, il ajouta :
â Sérieusement, crois-tu vraiment que jâaie envie de me rendre au magasin ce matin?
La raideur contre le bas-ventre dâÃlisabeth se manifesta encore.
â Non, je ne pense pas.
* * *
Passé dix heures, le couple se trouvait dans la salle à manger. La bonne avait fait de nouvelles rôties, vidé le thé devenu froid dans lâévier pour leur en servir du frais.
â Que comptes-tu faire du reste de la journée? demanda Ãlisabeth.
â Nous pourrions prendre la voiture pour aller voir les chutes Montmorency. Il y a un restaurant juste à côté, une ancienne maison.
â Le commerce buissonnier⦠Tu me parais vraiment résolu à laisser Ãdouard prendre une place grandissante au magasin.
Thomas prit le temps de reposer sa tasse avant de demander :
â Est-ce un reproche?
â Pas du tout. Seulement, tu paraissais si réticent, il y a quoi? Trois, quatre semaines, tout au plus?
Lâhomme mesurait lâampleur des changements survenus dans son existence en si peu de temps. Sa perte de conscience lui paraissait si lointaine.
â Dans une certaine mesure, le gamin me surprend par sa compétence. Sa gestion est précise, efficace. Il ne le reconnaîtra jamais, mais son passage dans chacun des rayons le sert très bien aujourdâhui.
Son épouse marqua une pause avant de murmurer :
â Dans une certaine mesure seulement?
â Tu le connais. Sa première motivation semble être de conter fleurette à un nombre maximum de jeunes filles dans un minimum de temps.
â Il était comme cela à cinq ans. Cela ne porte pas à conséquence.
Elle garda un nouveau silence, songeuse, puis un peu soucieuse, elle demanda :
â Tu ne veux pas dire⦠quâil a recommencé avec une autre?
Même si Ãdouard nâavait jamais abordé le dénouement de son aventure avec Clémentine auprès de son père, celui-ci savait tout. Des allusions nombreuses de ses employés ou de simples connaissances lui avaient permis dâen reconstituer le récit.
â Je ne pense pas.
Le craquement dâune planche dans le couloir se fit entendre. Il ne sâen préoccupa pas, car à ce moment la domestique se consacrait au ménage.
â Mais si tu voyais la secrétaire quâil a embauchée cette semaineâ¦
â Une beauté?
â Un très joli minois. Surtout, elle a un esprit vif, une personnalité engageante, en plus de faire très bien son travail.
â Tu me parais très enthousiaste. Peut-être est-ce moi qui devrais mâinquiéter et pas Ãvelyne.
Son mari la regarda un moment, puis affirma en tendant la main pour prendre la sienne :
â Je suis peut-être une exception de la gent masculine, mais depuis que tu es dans ma vie, je nâai jamais souhaité une autre présence, même pour un bref moment.
Il marqua une pause, puis insista :
â Tu me crois?
Elle serra fortement les doigts masculins dans les siens, puis répondit :
â Oui, je te crois.
Puis, elle précisa, faussement sévère :
â Mais ne rêve pas de nous voir remonter dans la chambre dans un moment. Je suis sûre que, quand je lui raconterai, le docteur dira que deux fois dâaffilée, câest trop.
Thomas lui tira la langue, tout en songeant que jamais elle nâoserait être aussi explicite avec le praticien. Tout au plus, elle évoquerait les « joies du mariage » en rougissant.
Dans le corridor, le dos appuyé contre le mur, Ãvelyne aspirait de grandes quantités dâair, avec lâespoir de ralentir un peu son cÅur emballé.
* * *
Un peu après midi, Ãdouard composa le
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