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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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cesser de vivre.
    Françoise poussa un long soupir, effaça le reste de ses larmes d’un geste un peu rageur. Elle demanda, incertaine :
    â€” Tu lui en veux aussi de s’être enrôlé?
    â€” Évidemment. D’un autre côté, avoir eu son âge, j’aurais fait exactement la même chose.
    â€” Avec le corps d’infirmières?
    Elle acquiesça d’un signe de la tête, saisit le bras de son amie pour l’entraîner vers l’escalier. Sur le premier palier, elle demanda :
    â€” Comptes-tu revoir le gentil Gérard?
    â€” S’il me le demande, oui.
    â€” Alors je souhaite qu’il le fasse.
    â€” … Si je m’attache à lui?
    Thalie haussa les épaules, affirma d’un ton faussement léger :
    â€” Qui va à la chasse risque de perdre sa place. Tu es si raisonnable, je suis certaine que tu prendras la bonne décision.
    â€” Si cela arrivait, Mathieu serait sans doute très malheureux.
    â€” Je serais là pour le consoler… C’est le rôle d’une petite sœur.
    Thalie secoua la tête, faisant voler la lourde tresse de ses cheveux sombres. Si le grand escogriffe pouvait se payer le luxe d’une peine d’amour au moment de son retour d’Europe, ce serait tout de même une bien petite souffrance, en comparaison avec le sacrifice de nombreux soldats. Tous les jours, les journaux offraient la liste des morts au champ d’honneur.
    * * *
    Flavie Poitras incarnait toujours la même efficacité souriante. Ses doigts fins parcouraient le clavier de la machine comme s’ils jouissaient de leur intelligence propre. Après quelques semaines dans les lieux, elle savait où se trouvait chacune des lettres, chacune des commandes, chacun des ordres de paiement effectués depuis quelques années. Et en plus, elle était jolie!
    Au moment d’arriver au bureau, le vendredi 16 août, l’excitation rougissait ses joues. Elle passa la tête dans la porte du bureau d’Édouard pour déclarer :
    â€” Je suis tellement désolée de mon retard…
    â€” Je vous pardonne…
    â€” Mais j’ai eu du mal à traverser les cordons de police.
    C’est ridicule, ils m’ont demandé aussi mes papiers. Les femmes ne sont pas conscrites…
    Ã‰douard quitta son siège afin de s’approcher des grandes fenêtres donnant sur l’église Saint-Roch et se pencha pour voir la rue.
    â€” Où sont-ils, ces policiers?
    â€” Vous ne pouvez pas les voir d’ici. Ils encerclaient le marché Jacques-Cartier.
    Ce dernier se trouvait au coin des rues de la Couronne et Saint-Joseph. Lors de la fusillade meurtrière, quelques semaines plus tôt, l’armée en avait fait son camp retranché.
    â€” Il ne s’agissait certainement pas des policiers de la ville, ragea-t-il.
    Ces derniers n’oseraient certainement pas persécuter la population de la sorte. Ils ne tenaient pas plus à la conscription que les simples citoyens.
    â€” La police militaire.
    Le jeune patron demeura un moment songeur, puis il décrocha son canotier de la patère en disant :
    â€” Je vais aller jeter un coup d’œil. Je me demande bien ce qu’ils veulent encore.
    Flavie se retint de déclarer combien les intentions des autorités lui paraissaient évidentes. La chasse aux insoumis ne faisait pas relâche.
    Quelques minutes plus tard, l’homme déboucha place Jacques-Cartier. Les cultivateurs des environs avaient placé leurs charrettes les unes contre les autres. Entre elles, des plate-formes de bois permettaient aux ménagères de faire leurs achats sans que leurs bottines lacées s’enfoncent dans les trois pouces de crottin encombrant le sol.
    La plus grande agitation régnait. Une centaine de policiers militaires lançaient des ordres, s’agitaient en tous sens. Certains empêchaient les paysans d’atteler leurs chevaux pour partir à la sauvette. Les autres allaient voir les plus jeunes pour leur demander leur nom et leurs papiers d’exemption. Ils pariaient que des insoumis commettaient l’imprudence de venir en ville. Se dissimuler dans les bois ou se terrer dans un caveau à patates lassait les garçons dans la jeune vingtaine. Une journée au marché fournissait l’occasion de visiter les tavernes voisines ou de dénicher les débits de boisson

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