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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de paille et les gants de dentelle suffisaient en cette belle soirée d’été. Elles se dirigèrent vers la haute balustrade de fonte longeant la surface de madriers, afin de contempler le fleuve, des centaines de pieds plus bas. Le port s’encombrait d’une multitude de navires marchands. Le vent venu du large plaquait les vêtements contre les jambes, découpait les silhouettes d’une façon un peu gênante. Elles pouffèrent de rire en se regardant, la main sur la tête pour retenir leur couvre-chef.
    â€” Nous ferions mieux de nous approcher des musiciens, déclara Thalie.
    â€” Nous attirerons un peu moins l’attention.
    Un kiosque se dressait à peu de distance du Château Frontenac . Il abritait un petit restaurant et, à l’étage, huit musiciens drapés dans des uniformes chamarrés. Au moment où les jeunes femmes se postaient près d’un banc, ils entamèrent le God Save the King presque sans fausse note. Une fois ce tribut payé au maître de l’empire britannique, ils enchaînèrent avec les accords plus doux de Fauré.
    â€” Mesdemoiselles, voulez-vous vous asseoir?
    La voix venait du banc. Deux hommes leur adressaient un sourire avenant, certains de leurs charmes. Comme les jeunes gens âgés de vingt à vingt-trois ans se trouvaient conscrits, ceux-là en avaient vingt-quatre, tout au plus vingt-cinq, jugea Thalie.
    â€” Nous pouvons demeurer debout, répondit-elle.
    â€” Sans doute, mais cette musique s’écoute tout aussi bien confortablement assis.
    Elle examina plus soigneusement son interlocuteur. Son costume témoignait d’une petite aisance, celle d’un commis dans une banque ou une grande maison d’affaires. Il se leva pour lui désigner le siège abandonné.
    â€” À qui dois-je une pareille générosité?
    â€” Antoine.
    Le compagnon du bavard impénitent laissa aussi sa place en prononçant à l’intention de Françoise :
    â€” Je me nomme Gérard.
    Dans une situation de ce genre, une loi non écrite voulait que le moins timide des deux garçons chante la pomme à la moins timide des deux jeunes femmes. Les moins assurés ne perdaient pas nécessairement au change. Le garçon continua :
    â€” Travaillez-vous à Québec?
    Fille de députée élevée au couvent, Françoise s’étonnait encore que les jeunes gens la prennent spontanément pour une employée. Elle ne s’en formalisait plus guère.
    â€” Je suis vendeuse chez ALFRED, comme mon amie.
    â€” Je suis employé de la Banque de Montréal… comme mon ami.
    Elle lui adressa un sourire reconnaissant en s’asseyant. L’homme se déplaça derrière le banc, avec son compagnon. Au gré des pièces de musique, ils échangèrent de menus propos, ces phrases sans importance, vite oubliées, destinées simplement à exprimer une vérité toute simple : « Vous me plaisez, vous savez. » Aux premières notes d’une valse, le plus audacieux des deux demanda en tendant la main :
    â€” Acceptez-vous de danser avec moi?
    â€” Ce n’est pas l’endroit, opposa Thalie.
    Quelques couples lui prouvèrent le contraire tout de suite. Même si les prêtres pourfendaient souvent cette activité dangereuse, dans le contexte de la guerre, les jeunes gens prenaient de plus en plus de liberté avec la danse.
    La surface d’épais madriers procurait une piste fort convenable. À la fin, la jeune fille accepta la main tendue, commença bientôt à tournoyer dans les bras de cet inconnu. Françoise jugea nécessaire de rougir un peu, d’hésiter un moment avant de faire la même chose.
    Un peu après dix heures et demie, pendues au bras de leurs cavaliers improvisés, les deux jeunes filles revenaient vers le commerce de la rue de la Fabrique. Devant la porte, Thalie déclara :
    â€” Merci de nous avoir raccompagnées.
    â€” Puis-je espérer vous revoir? commença Antoine.
    â€” Ce ne sera pas possible, car j’emménagerai bientôt à Montréal.
    â€” … Oh! Vous me manquez déjà.
    Le sourire de son interlocutrice lui fit comprendre que la flagornerie ne lui rapporterait rien. À quelques pas, Gérard montrait à la fois un peu moins d’assurance, mais peut-être plus de sincérité. Il avait

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