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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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vingt ans d’avoir un enfant, porta. Silencieusement, Élisabeth remit le bébé dans les bras de la jeune mère. Témoin de l’échange, Édouard déclara :
    â€” Il faudrait adresser tes récriminations à Ève, adorable sœurette. Après tout, le « Tu enfanteras dans la douleur » tient à son appétit déraisonnable pour les pommes.
    Le vieux notaire Dupire s’agita sur le canapé, un peu inquiet de la façon cavalière d’évoquer l’Ancien Testament. Son épouse, assise à ses côtés, arrivait plus facilement à faire abstraction des remarques de ce genre. Le jeune Charles saisit l’occasion pour faire entendre sa voix.
    â€” Je crois qu’il a faim, remarqua Jeanne.
    â€” Je viens tout juste de m’asseoir…
    Eugénie affichait une lassitude résignée. Elle souleva un peu le bébé, la domestique le prit dans ses bras. Debout, à peu de distance, Élisabeth préféra ne pas apporter son aide, de crainte d’une nouvelle rebuffade. Fernand s’approcha, offrit son bras à son épouse. Un moment plus tard, la mère s’installait dans un coin de la cuisine et détachait son corsage pour en sortir un sein menu, tout rond de lait. D’instinct, l’enfant chercha la pointe, agitant les lèvres dans un mouvement de succion avant même de la toucher.
    Fernand surveillait la scène, contemplant la pointe rose gorgée de sève. Le tableau aurait dû lui paraître touchant. Il le laissait troublé. Sa femme faisait tous les gestes de la maternité d’une façon un peu mécanique, tout en conservant sur le visage un masque d’indifférence un peu agacée.
    â€” Pourras-tu te joindre à nous pour le dîner?
    â€” Comme tu ne t’en doutes pas, semble-t-il, j’ai un peu de mal à demeurer en position assise.
    â€” Nous pouvons transporter le fauteuil dans la salle à dîner, ajouter un coussin sur le siège.
    La jeune femme fixa sur lui des yeux impatients, irritée par son insistance.
    â€” Tous ces gens sont venus pour te voir, précisa-t-il.
    Il n’obtiendrait pas qu’elle formule son assentiment à haute voix. À la fin, il quitta la pièce en disant :
    â€” Fais l’effort de rester quelques instants avec nous.
    Elle accorda vingt longues minutes à la famille réunie, puis regagna sa chambre avec l’aide de Jeanne. Tout au long du repas, Élisabeth effectua un va-et-vient entre la salle à manger et la cuisine, où la domestique s’occupait de faire manger Antoine, maintenant âgé de deux ans et demi. Il ouvrait la bouche avec bonne volonté pour enfourner des cuillerées de légumes. Sur une chaise haute, Béatrice, une grande personne d’un an et quelques jours, manipulait des morceaux de nourriture, s’en enduisait les joues et finissait par en avaler un peu.
    Lors d’une de ses visites, Élisabeth demanda à la jeune femme :
    â€” Vous plaisez-vous ici?
    â€” … C’est un bon emploi.
    â€” Vous y êtes à cause de moi, je me souviens très bien de vous avoir demandé de venir ici, en 1914. J’espère que ce fut pour le mieux.
    Jeanne gazouilla un moment en cœur avec le petit garçon, puis elle confia :
    â€” Vous l’avez vue, son caractère ne s’améliore pas. Certaines femmes se cassent les reins pendant douze heures par jour dans une usine de munitions, moi, j’endure l’humeur massacrante de votre belle-fille.
    Cette remarque, formulée tout doucement, contenait une révolte réprimée pendant des années.
    â€” … Je vous demande pardon.
    La femme avait cru rendre service à la jeune mariée, lui permettre une transition plus facile dans sa nouvelle famille. Elle devinait toutefois que le contact étroit avec Eugénie, jour après jour, devait se révéler éprouvant.
    â€” Vous savez, rétorqua Jeanne, un peu plus sereine, ma situation a des aspects plus réjouissants. Prenez ces deux-là…
    Des yeux, elle désignait les enfants.
    â€” Ce sont des bébés adorables… Ils tiennent de leur père.
    La bonne donna cette précision avec un sourire ironique. Elle ajouta après une pause, heureuse d’avoir, pour la première fois, une oreille sympathique à sa confidence :
    â€” Monsieur Fernand est

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