La mort bleue
bientôt dans lâordreâ¦. Quand les plaies seront cicatrisées.
â Tout à lâheure, elle réitérait une mise au point vieille de plusieurs semaines. Avec trois enfants, dont deux garçons, elle considère avoir accompli son devoir de femme, puisque ma succession est assurée. Désormais, je ne devrai plus mâapprocher de son lit.
Adresser à une domestique, très probablement vierge, ce genre de confidence bousculait tous les usages. Toutefois, une fille de la campagne consciente des exigences de la nature risquait peu de sâen formaliser. Il continua :
â Je me sens bien jeune pour renouer avec le célibat.
â ⦠Les choses iront mieux, bientôt.
En les prononçant, Jeanne mesurait combien ses mots semblaient peu crédibles. Le couple faisait déjà chambre à part depuis des mois. Plutôt que de dire une autre sottise, elle se réfugia dans le silence, goûtant sa boisson à toutes petites gorgées.
â Nous avons eu un bel été, déclara lâhomme en poussant un soupir lassé. Nous en avons pourtant bien peu profité. Lâan prochain, il faudrait louer quelque chose à la campagne. Cela permettra à tout le monde de profiter un peu de lâair pur.
La domestique eut lâimpression dâêtre incluse dans ce projet. Cette pensée la troubla fort. Comme le silence qui avait suivi était rapidement devenu trop lourd, elle murmura :
â Cela fera certainement du bien aux enfants. Courir un peu dans les champs, profiter du soleil, cela remplace les meilleures médecines.
Elle répétait là ses lectures dans les journaux. Les pages féminines regorgeaient de conseils de ce genre, sans que la compétence de ceux qui les donnaient ne soit jamais clairement établie.
Fernand avala la moitié de son verre dâune lampée, toussa sous la brûlure du liquide dans sa gorge. Il demanda ensuite :
â Lâentraînement de tes frères se prolonge encore, je pense.
â On dirait que les officiers ont décidé de les rendre savants. Les voici maintenant rendus au camp de Saint-Jean. Dans leur dernière lettre, ils parlent de passer en Europe fin octobre.
Elle posa son verre sur la table, allongea ses jambes devant elle, se cala confortablement dans le canapé. Sa confidence à son ancienne patronne lui revint en mémoire. Malgré lâhumeur acariâtre dâEugénie, au fond, cette maison lui plaisait bien. Deux enfants, bientôt trois, lui étaient en quelque sorte abandonnés. Son employeur partageait avec elle ses moments de détente, il lui confiait ses pensées les plus intimesâ¦
Dâun autre côté, lâétrangeté de cette situation la plongeait dans un trouble inquiétant. Devrait-elle aborder le sujet avec son confesseur?
7
Ce samedi, Thomas arriva au bureau en fin de matinée. Il tenait à conserver des relations dâaffaires avec Fulgence Létourneau, afin de garder le contact avec lui. Le petit homme se présenta dans les bureaux administratifs à lâheure prévue en compagnie de son fils, Jacques. Le garçon de neuf ans, aux cheveux blonds au point de paraître blancs sous le soleil, aux yeux dâun bleu intense, regardait le monde et les gens avec une assurance tranquille.
Cette attitude étonnait ceux qui connaissaient son père, un être trop effacé. Tous attribuaient ces traits de caractère à la mère, la plantureuse Thérèse. Quant aux personnes informées de lâadoption survenue peu après sa naissance, elles sâinterrogeaient sur son origine. Les hypothèses les plus saugrenues couraient au sujet des enfants nés neuf mois après les magnifiques festivités du tricentenaire.
â Quel beau jeune homme! commença Flavie en lui adressant son regard le plus engageant.
Il la regardait dans les yeux, un peu amusé de voir une adulte sâadresser à lui de cette façon. La remarque ne méritait aucune réponse, il se contenta de sourire.
â As-tu hâte de retourner en classe?
â Non, pas vraiment.
Pourtant, il réussissait bien sans fournir trop dâefforts. Lâécole lui paraissait surtout ennuyeuse et la discipline des frères des Ãcoles chrétiennes sottement tatillonne.
â Les cours doivent commencer bientôt, je crois, insista-t-elle.
â Dans une
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