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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Voilà un jeune homme bien robuste, dit Thomas en lui tendant la main.
    Les doigts du garçon collaient un peu à cause des bonbons.
    â€” Tu as voulu venir voir notre grand magasin? demanda encore le commerçant.
    Le père répondit à la place du fils, désireux de justifier une absence des ateliers un peu trop longue :
    â€” Comme la rentrée scolaire aura lieu bientôt, j’ai voulu l’emmener pour acheter quelques pièces de vêtements. Cela ne prendra qu’une minute ou deux.
    â€” Dis plutôt dix ou vingt, sinon trente. Prends tout le temps qu’il te faut.
    L’homme se retourna vers Jacques pour commenter encore :
    â€” À la vitesse où tu grandis, tes pantalons doivent toujours paraître trop courts.
    Le commentaire ne méritait aucune réponse. Jacques soupira, un peu lassé de l’intérêt de cette grande personne. Après des salutations à la ronde, Létourneau quitta les lieux, la main droite sur l’épaule de son fils. Thomas les regarda s’éloigner, les yeux vagues.
    â€” C’est un bel enfant, commenta Flavie avec un sourire. Vous paraissez l’aimer.
    Un instant, Thomas la contempla fixement, inquiet de s’être trahi par sa trop grande candeur. La jeune femme continua :
    â€” Édouard a dû avoir bien de la chance, petit. Vous deviez être très attentif à ses besoins.
    Une conclusion de ce genre, bien inoffensive, le rassura tout à fait. Aussi l’homme lui adressa un regard reconnaissant en concluant :
    â€” Je suppose que tous les garçons ont à se plaindre de leur père. Édouard de moi, Jacques de ce pauvre Fulgence.
    â€” Monsieur Édouard affiche un grand respect pour vous.
    La remarque venait avec un grand battement des cils. Un moment, son interlocuteur se demanda auquel des « messieurs » elle adressait son compliment.
    â€” Eh bien, quand le fils admiratif de son paternel passera sous vos yeux, dites-lui de venir me voir.
    Sur ces mots, il retourna s’enfermer dans son bureau.
    * * *
    Une préoccupation s’imposait dans de nombreuses demeures de la province, tenaillait des milliers de parents. Si jusque-là, les insoumis avaient pu, simplement en se présentant dans un bureau de recrutement, régulariser leur situation, depuis le 24 août, ils étaient traités comme des déserteurs et susceptibles de passer en cour martiale. Les journaux évoquaient à mots couverts les centaines de soldats français fusillés après une procédure de ce genre. Bien plus, une rumeur tenace laissait entendre que des membres du 22 e bataillon subissaient le même sort pour avoir refusé de marcher au combat.
    â€” Voilà que l’on projette d’exécuter des milliers de fils de cultivateurs canadiens-français! clama Édouard.
    Le jeune homme se trouvait attablé dans la salle à manger familiale, un exemplaire de La Patrie replié devant lui. Élisabeth posa sur lui un regard préoccupé, bien certaine qu’un emportement de ce genre écorchait les bonnes manières. Les soupers familiaux devaient demeurer empreints de sérénité, prétendait le petit manuel de civilité de la baronne de Staffe. Surtout, cela risquait d’entraîner une discussion acerbe.
    â€” Je suppose qu’encore une fois, Armand Lavergne t’inspire ces paroles aussi insensées, rétorqua Thomas.
    Le garçon se sentit d’autant plus blessé que son père avait raison : une conversation avec l’ancien député, à l’heure du dîner, alimentait ses sombres réflexions depuis quelques heures.
    â€” Les tribunaux militaires ne connaissent qu’une seule sentence. Cela n’a rien de surprenant, les officiers envoient à la mort des milliers de jeunes gens pour alimenter leur appétit de gloire. Attacher un gars à un poteau pour le cribler de balles ne les trouble pas.
    â€” Exprimer ce genre de colère contre des chefs incompétents ou inhumains convient mieux aux personnes qui ont accepté d’aller combattre, ne trouves-tu pas? Pour les autres, parler des glorieux fantassins sacrifiés et des lâches officiers planqués à l’arrière sonne un peu faux.
    Au moment où la fin du conflit se dessinait à l’horizon, un curieux phénomène se développait. Les personnes farouchement opposées

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