La mort bleue
continua :
â Ce nouvel environnement vous plaît-il?
â Cela ira, répondit son interlocutrice en jetant un nouveau regard circulaire sur la pièce, si seulement je peux me débarrasser de cette malle.
La grande boîte rectangulaire occupait presque tout lâespace laissé libre par les meubles.
â Demandez à la patronne dâenvoyer tout à lâheure son fidèle Sylvio. Il y a de la place dans le sous-sol pour entreposer cela. Au moment des grandes vacances, en mai prochain, vous la récupérerez couverte de fils dâaraignées.
Lâattention de la visiteuse se porta sur la commode, où se trouvaient deux cadres. Le premier contenait la photographie des parents de la nouvelle locataire, prise au début de 1914, le second celle de Mathieu, dans son uniforme du 22 e bataillon.
â Câest votre fiancé? interrogea-t-elle, la voix changée.
â Mon frère. Il est en Belgique.
â Jâaurais dû voir la ressemblance avec le monsieur de lâautre photo⦠Jâai aussi un frère en Europe.
La confidence fut soulignée dâun léger reniflement. Elle enchaîna après une pause :
â Venez-vous manger?
Thalie acquiesça, contourna son bagage afin de sortir de la pièce, ferma derrière elle.
â Prenons lâescalier, cela ira beaucoup plus vite que lâascenseur.
â Jâai pu le constater tout à lâheure.
Catherine portait une robe allant à mi-mollet, des souliers plats. Une ceinture très large soulignait sa taille mince. Lâensemble ne devait pas laisser les garçons indifférents. Un peu plus tard, toutes les deux prenaient place lâune en face de lâautre à lâextrémité dâune longue table où, quand toutes les pensionnaires seraient là , se trouveraient une vingtaine de convives.
â Vos protégées tardent à arriver, madame Anderson, déclara Catherine quand la maîtresse des lieux posa une soupière devant elles.
â à la fin de lâaprès-midi, une douzaine de demoiselles prendront possession de leur chambre. Demain, nous serons au complet.
Elle fit le service elle-même en précisant :
â Je ne vous tiendrai pas compagnie. Je me trouve toute seule, Annet a dû se rendre dans sa famille.
Elle retourna vers la cuisine sans attendre.
â Le personnel est-il nombreux? demanda Thalie après avoir goûté au potage.
â Pas vraiment. Nâimaginez pas être traitée en princesse ici. Une femme de peine vient tous les jours faire le ménage des espaces communs, mais elle suffit tout juste à la tâche. Mieux vaut ne rien laisser traîner, sinon la patronne perd son sourire. Puis, nous nous occupons toutes de nos chambres nous-mêmes.
â Les domestiques?
â à part Annet, une nièce de la propriétaire qui joue à la fois le rôle de cuisinière et de bonne à tout faire, personne.
Avec le nombre élevé de pensionnaires, cela signifiait un travail éreintant. Thalie pensa combien Gertrude protesterait, devant pareil défi.
â Et Sylvio?
Son interlocutrice regarda en direction de la porte de la grande pièce, puis souffla à voix basse :
â Câest lâhomme à tout faire. Selon la rumeur, il fait vraiment tout, dans cette maison.
Elle étouffa un fou rire, puis ajouta :
â Câest un Italien.
à ses yeux, cela semblait justifier le sous-entendu précédent. Elle continua :
â Il semble bien comprendre ce quâon lui dit, mais seules des monosyllabes sortent de sa bouche.
Un bruit dans le couloir la ramena à un sujet plus anodin :
â Ãtudierez-vous aussi à McGill?
â Oui, en médecine, répondit Thalie, alors que la propriétaire des lieux apportait le second service.
â Les femmes viennent tout juste dâêtre admises dans cette Faculté. Vous serez parmi les premières.
Elle exprima son assentiment dâun signe de tête, tandis que madame Anderson la débarrassait de son assiette vide.
â Il faut vous attendre à beaucoup dâhostilité de la part des professeurs et des étudiants.
La prévision rendit Thalie un peu morose.
â Je comprends à vos paroles que vous êtes aussi à McGill.
â Je commencerai ma seconde année de droit jeudi.
â On vous y mène la vie dure?
â
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