La mort bleue
continua :
â Montez tout de suite vous rafraîchir. Dans trente minutes, vous pourrez partager notre repas. La salle à manger se trouve au rez-de-chaussée, au fond de la maison.
Un homme malingre, noir de poil, apparut au même moment.
â Sylvio, portez cette malle au numéro 302⦠à tout à lâheure, ajouta-t-elle à lâintention de sa nouvelle locataire.
Un chariot se trouvait rangé contre un mur, sans doute en prévision de lâarrivée des pensionnaires ce jour-là . Lâemployé mit la malle debout, en posa le bord sur la lame dâacier de lâappareil et bascula celui-ci vers lâarrière afin de le faire rouler. Thalie le suivit jusquâà lâascenseur, pour constater que la cage minuscule ne recevrait pas deux personnes en plus de lâimposant bagage.
â Je vous retrouve en haut, précisa-t-elle en sâengageant dans lâescalier situé tout à côté.
Une bande de tapis assourdit un peu le bruit de ses talons ferrés frappant les marches. Au troisième, sous les combles, elle déboucha dans un corridor. Elle ouvrit la porte des toilettes quâelle partagerait avec quatre ou cinq autres jeunes femmes et, juste à côté, celle dâune pièce minuscule où se trouvait un bain. Sur la porte, une feuille cartonnée permettait aux utilisatrices dâindiquer le moment de la semaine et lâheure où elles procéderaient à leurs ablutions. Si le règlement épinglé juste au-dessus ne limitait pas la fréquence de celles-ci, il précisait la nécessité dâutiliser lâeau chaude avec parcimonie et limitait à une demi-heure la durée de la trempette.
â Désormais, impossible de me prélasser toute une soirée.
De toute façon, même à la maison, un tel comportement lui valait des remarques agacéesâ¦
La porte de lâascenseur sâouvrit dans un fracas métallique. Elle poussa la porte de la chambre 302 afin de permettre à lâemployé de déposer la malle sur le plancher, au milieu de la pièce.
â Je vous remercie, dit-elle, ne sachant trop si elle devait donner un pourboire.
Lâautre inclina la tête et sâesquiva, mettant fin à son dilemme. Thalie tourna sur elle-même afin de prendre contact avec son nouveau domaine. La chambre devait mesurer dix pieds de largeur et douze de profondeur. Une fenêtre donnait sur la cour arrière et, au-delà , sur des toitures. Un lit étroit, placé contre le mur, paraissait un peu creusé en son centre. Une commode, une table de travail et une chaise complétaient lâameublement. Une étagère accrochée au mur porterait bientôt ses quelques livres. Une garde-robe minuscule pouvait recevoir tout au plus un paletot et quelques autres vêtements.
â Jâavais un peu plus grand à la maison, déclara-t-elle, à mi-voix.
Lâhéritage de son père lui aurait sans doute permis de se loger un peu mieux. Elle préférait toutefois jouer de prudence, car les prix avaient monté très vite depuis 1914, et ses études sâétaleraient sur de nombreuses années. Elle chercha une petite clé dans sa poche pour ouvrir les serrures de la malle, souleva le couvercle et commença à en ranger le contenu. Elle affrontait sa nouvelle existence avec un mélange dâexcitation et de crainte Heureusement, le premier sentiment lâemportait nettement sur le second.
* * *
Comme elle possédait peu de choses, tout placer fut lâaffaire de quelques minutes. Thalie achevait tout juste quand de petits coups résonnèrent contre la porte. Intriguée, elle ouvrit pour découvrir une personne à peu près de son âge, un sourire à la fois réservé et engageant sur les lèvres.
â Jâhabite à côté, commença lâinconnue. Chambre 305. Je me nomme Catherine Baker.
Elle tendit la main.
â Thalie⦠Thalia Picard. Je suis enchantée de vous connaître.
Elles se toisaient du regard, essayant de deviner ce que serait leur voisinage. Catherine, grande et mince, présentait une masse de cheveux bruns tirant sur le roux, coupés court, « à la garçonne » disait-on pour décrire ce style décontracté. Ses lèvres ornées dâun soupçon de rouge découvraient des dents parfaites. Elle
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