La mort du Roi Arthur
fit, et le roi jura par l’âme de son père, le roi Uther Pendragon, qu’il ne retournerait pas en arrière mais affronterait Mordret. Pendant leur conversation, ils s’étaient arrêtés devant de grandes pierres qui se dressaient dans la plaine. Le roi leva les yeux vers l’une d’elles et y vit gravée une inscription. Aussitôt, il tourna son regard vers l’archevêque et lui dit : « Seigneur, voici une chose merveilleuse : il y a une inscription sur cette pierre ! » L’archevêque examina la pierre et y déchiffra ceci : « En cette plaine doit avoir lieu la mortelle bataille par laquelle le royaume de Bretagne restera orphelin. »
« Seigneur Arthur, reprit-il, voici ce que ces lettres signifient : si tu attaques Mordret, le royaume restera orphelin, car tu mourras ou tu seras blessé à mort. Il n’y a pas d’autre issue. Et pour que tu croies que ces lettres expriment la stricte vérité, je puis t’affirmer que c’est Merlin lui-même qui les a tracées. Tu sais bien que tout ce que disait Merlin était vrai, car il connaissait l’avenir avec certitude. – Seigneur, répondit le roi, ce que je vois aurait suffi à me faire retourner en arrière, quelles qu’eussent été mes intentions, si je n’étais venu jusqu’ici. Il est trop tard, maintenant. Que Jésus-Christ nous vienne en aide, car je ne m’en irai d’ici que le destin n’ait parlé en ma faveur ou en celle de Mordret. S’il m’arrive malheur, ce sera à cause du péché que j’ai commis autrefois, et sans doute à cause aussi de ma démesure, car je pense posséder plus de braves chevaliers que Mordret. » {76}
Incapable de cacher son émotion, l’archevêque ne sut plus que dire, et le roi revint à sa tente. À peine y était-il entré qu’un écuyer arriva, qui lui dit : « Roi Arthur, je ne te salue pas, car j’appartiens à ton mortel ennemi Mordret, roi du royaume de Bretagne. Il te fait savoir que c’est folie de ta part que d’avoir envahi sa terre. Mais si tu veux donner ta parole de roi que tu retourneras demain avec les tiens au pays d’où tu es venu, il acceptera de ne te faire aucun mal. En revanche, si tu n’y consens pas, il te fait annoncer que demain aura lieu la bataille. Fais-lui connaître ta décision, car il ne désire pas ta perte si tu consens à quitter sa terre. »
En entendant ce message, le roi sentit la colère gronder en lui. Il répondit à l’écuyer : « Va dire à ton maître que jamais je ne quitterai cette terre que je possède par légitime héritage. Au contraire, j’y resterai pour la défendre et pour en expulser le parjure et le traître qui s’en est emparé. Que ton maître sache qu’il mourra de ma propre main, car le moment est venu de châtier le coupable d’un aussi odieux forfait. » {77} Ainsi parla le roi Arthur et l’écuyer, ne s’attardant pas davantage, s’en alla, sans prendre congé, rejoindre le camp de Mordret.
Resté seul, Arthur se mit à méditer tristement et murmura tout à coup : « Ah ! Dieu ! si au moins Merlin était ici ! » Il entendit alors une voix répondre : « Mais je suis ici, roi Arthur ! » Le roi se tourna brusquement et aperçut, assis sur un siège, au fond de la tente, Merlin lui-même, tel que le jour où il avait demandé son congé pour aller rejoindre Viviane en la forêt de Brocéliande. En le reconnaissant, Arthur sentit son cœur envahi par la joie et il s’écria : « Merlin, mon ami, tu es donc en vie ! »
Merlin éclata de rire et dit : « Qu’entends-tu donc par être en vie ? Peut-être, après tout, ne suis-je qu’une apparence ? Mais il se peut que je n’aie été également, jadis, qu’une simple apparence, celle sous laquelle tu me voyais. Connais-tu vraiment mon vrai visage ? » Arthur ne répondit pas. Il se sentait trop ému. Il finit cependant par murmurer : « Merlin, Merlin, pourquoi m’as-tu empêché de tuer Mordret lorsqu’il était enfant ? Nous aurions évité tout ce qui arrive aujourd’hui. – En es-tu certain ? répondit Merlin. C’est sans doute quelqu’un d’autre qui t’aurait trahi. Et comment tolérer qu’un roi juste et bon se montrât capable de tuer un enfant innocent ? » Le roi Arthur ne savait plus que dire. « Arthur, reprit Merlin d’une voix calme, je suis venu te voir pour te dire que tu as été un grand roi, et qu’un grand roi ne doit jamais faillir à son honneur et à son devoir. Tu as spontanément décidé
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