La mort du Roi Arthur
Guinier car, depuis leur rencontre, ils éprouvaient l’un pour l’autre le plus brûlant amour. Et si chaque nouvelle minute accroissait en elle le désir de se trouver dans les bras de Karadoc, lui, de son côté, se répétait que nulle femme au monde ne pourrait le rendre infidèle à Guinier. Quant à Cador, il tenait compagnie à la sœur d’Aalardin et s’en montrait, semblait-il, des plus satisfaits. Ainsi chevauchaient-ils à vive allure à travers les forêts et les landes, et ils ne furent pas longs à parvenir, la veille de la fête de la Pentecôte, à Carduel.
Or, pour Karadoc, l’épreuve était imminente et, malgré son courage, il l’envisageait avec effroi : il s’était passé tant de choses depuis un an ! Pour rien au monde, il n’eût voulu peiner Guinier, car il l’aimait d’un amour aussi profond que sincère. Qu’allait-il arriver ? Le chevalier dont il avait tranché la tête reviendrait-il réclamer son dû ? « Ne me suis-je pas, se disait-il, rendu coupable de forfanterie ? » Et comment, d’ailleurs, qualifier l’attitude du provocateur, un magicien à l’évidence, eu égard aux coutumes du royaume ? Karadoc dormit peu, cette nuit-là, tant l’angoissait son éventuelle rencontre avec l’homme à la robe d’hermine. Et, néanmoins, il était bien décidé à mener l’aventure jusqu’à son terme, dût-il y périr, car, à ses yeux, mieux valait mourir que manquer à l’honneur.
Le lendemain, la cour tout entière se rassembla autour du roi Arthur. Et, une fois la messe chantée, les processions dispersées, les chevaliers tout juste réunis dans la grande salle de Carduel attendaient qu’il plût à Arthur de demander l’eau pour se mettre à festoyer, quand on vit arriver le chevalier à la robe d’hermine, à cheval, l’épée au côté. Il n’avait guère les joues fraîches, et l’on devinait à son visage empourpré de chaleur qu’il avait chevauché longtemps. « Seigneur roi, dit-il à Arthur, que Dieu te protège, toi et les tiens ! – Et toi, répondit le roi, que Dieu te bénisse : Sois le bienvenu à ma cour. » Le chevalier descendit de sa monture et regarda fièrement autour de lui. « Karadoc ! dit-il enfin, je ne te vois pas. Serais-tu lâche ? Si tu es là, avance hardiment. Mais je te préviens, tu vas passer un mauvais moment. Présente-moi ta tête ici sur-le-champ, de même façon que je t’ai présenté la mienne l’an dernier. Il est juste que tout le monde puisse voir comment je sais moi-même manier l’épée. Tu recevras le coup qui t’était promis. »
Comprenant qu’il ne pouvait plus hésiter, Karadoc ôta son manteau et, se précipitant, présenta sa tête au chevalier à la robe d’hermine. « Seigneur, lui dit-il, je suis celui que tu attendais. Fais de moi ce qu’il te plaît. » Et comme le chevalier brandissait déjà son épée au-dessus du cou de Karadoc, soudain le roi Arthur intervint : « Seigneur chevalier, dit-il, montre-toi courtois et accepte plutôt une rançon. – Une rançon ? répliqua le chevalier. Quelle rançon ? Je t’en prie, dis-moi laquelle ? – Volontiers. Je t’offre une grosse rançon : sans mentir, je te donnerai toute la vaisselle qu’on trouvera dans cette forteresse, d’où qu’elle provienne, ainsi que le harnais de Karadoc. Car il est mon neveu, et je l’aime fort. – Ce sentiment t’honore, roi Arthur, mais je n’en ai que faire. Je n’accepterai aucune rançon. C’est la tête de Karadoc que je veux. Inutile de discuter davantage. – Pourtant, repartit le roi, j’ajouterai encore quelque chose : je suis prêt à te céder tous les trésors, toutes les pierres précieuses, tout l’or et tout l’argent que l’on trouvera sur mes terres, dans toute l’étendue de mon royaume. – Tu me prends vraiment pour un sot, roi Arthur. Tu t’es engagé à laisser Karadoc me donner sa tête en échange de la mienne. Je suis venu la réclamer parce que je suis dans mon droit. »
À ces mots, un grand silence tomba sur toute l’assemblée. Mais, alors, la belle Guinier se précipita aux genoux du chevalier à la robe d’hermine et le supplia d’épargner la vie de l’homme qu’elle aimait. Le chevalier la repoussa d’un air dédaigneux. « Jeune fille, railla-t-il, je respecte fort l’amour que tu lui portes, mais là n’est pas la question. Karadoc m’a coupé la tête l’an dernier, et il s’est engagé, sous la caution du roi, à me livrer
Weitere Kostenlose Bücher