La mort du Roi Arthur
de vengeance. Le lendemain, Karadoc se rendit dans la tour visiter sa mère. Il le faisait par pure courtoisie et parce qu’il la respectait en dépit de tout. Il la trouva toute décoiffée. « Mon fils, dit-elle, je ne m’attendais pas à te voir. Cela fait bien longtemps que tu me délaisses. J’étais toute occupée de mes cheveux que je voudrais démêler avec un peigne venu d’outre-mer. Il se trouve dans cette armoire. Veux-tu me l’apporter ? » Loin de se méfier, Karadoc se leva promptement et se dirigea vers l’armoire, l’ouvrit et y plongea le bras. Alors, le serpent qui se trouvait à l’intérieur se précipita, gueule ouverte, lui saisit le bras et s’enroula tout autour. Karadoc bondit en arrière et secoua son bras, dans l’espoir de se délivrer, mais plus il s’agitait, plus le reptile assurait son étreinte. Alors, Karadoc commença à blêmir, à pâlir, à changer de visage.
À ce spectacle, la reine se précipita et, feignant de ne pas comprendre, se mit à crier et à gémir, se frappa la poitrine, se tordit les mains et s’écria d’une voix faussement plaintive : « Malheureuse ! misérable ! Comme la mort est peu pressée, qui me laisse un semblant de vie ! Pourquoi ce serpent s’en est-il pris à mon fils et non à moi ? C’est sur moi qu’aurait dû se jeter cet infâme monstre, je n’aurais pas regretté la vie ! Mon cher fils, confesse-toi et libère-toi du lourd fardeau de la faute que tu as commise envers ton père et envers moi, ta mère. C’est de ton péché, de tes mauvais agissements envers nous deux que le Seigneur Dieu se venge ! Souffre patiemment et implore longuement la miséricorde de Dieu afin qu’il t’enlève ce diable du bras ! »
Ainsi parlait la reine, tandis que Karadoc demeurait coi. En lui-même il soupirait, convaincu qu’elle disait tout cela pour son bien. La terrible souffrance qu’il ressentait, nul être humain n’aurait pu la décrire, et quand le roi de Vannes en fut informé, ce malheur lui fit éprouver un chagrin terrible qu’aggravait une colère immense. Aussitôt rendu dans la tour, à peine put-il se retenir de passer son épée au travers du corps de la reine, car il se doutait bien qu’elle avait trempé là-dedans. Aussi emmena-t-on la reine dans une autre pièce car, dans sa rage, il eût risqué de la tuer au milieu de tous les gens présents. Du reste, il poussait des soupirs à fendre l’âme, il s’arrachait les cheveux, il tirait sur sa barbe, il pleurait et se maudissait de n’avoir su protéger son fils tendrement aimé. Il fit emmener celui-ci loin de ce lieu maudit, non sans invectiver l’enchanteur diabolique, se promettant de le tuer de ses propres mains le jour où il le rencontrerait.
Ainsi, quatorze chevaliers au moins prirent-ils Karadoc dans leurs bras pour l’emporter hors de la tour, puis on lui prépara avec mille soins un superbe lit dans une chambre magnifiquement tapissée de tentures de soie et décorée d’ornements précieux. C’est là qu’ensuite on le porta et le déposa sur la couche. Néanmoins, il ne parvint pas à y trouver le repos, car aucune des positions qu’il prenait n’était tolérable : le serpent nouait ses nœuds toujours plus étroitement et lui serrait le bras de manière tellement atroce que Karadoc se croyait à chaque instant sur le point de périr. Le roi de Vannes était affligé d’une peine immense à voir ainsi panteler celui qu’il n’avait jamais cessé de considérer comme son fils. Il envoya des messagers par tout le royaume en quête d’un homme assez habile pour le tirer de cet étrange pas. Mais ses émissaires eurent beau explorer chaque coin du pays, ils ne dénichèrent personne qui pût accomplir semblable prodige. Au bord du désespoir, le roi ne savait que faire, et il voyait trop que Karadoc s’affaiblissait de jour en jour. Aussi décida-t-il d’envoyer ses serviteurs courir le monde à la recherche d’un médecin ou d’un sorcier susceptible, par herbes, onguents ou incantations, de délivrer le malheureux Karadoc du supplice qui le torturait. Et il ajouta qu’il donnerait toute sa fortune à qui réussirait l’épreuve.
Aussi les médecins accoururent-ils en foule de partout, mais ni le meilleur ni le pire ne surent découvrir de remède pour obliger l’infâme reptile à se détacher du bras de Karadoc. Quant à la reine, toujours enfermée dans sa chambre, au sommet de la tour, elle se réjouissait grandement.
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