La mort du Roi Arthur
lit, la face tournée vers le mur, préférant feindre de dormir pour abuser ses éventuels visiteurs.
Au soir, le roi de Vannes vint le voir, en compagnie d’un messager qu’avait envoyé Cador de Cornouailles. « Seigneur, dit le messager, ton compagnon Cador a pris la mer avec la belle Guinier, sa sœur, qui t’aime plus qu’elle-même. Je te transmets leur salut à tous deux. Demain, avant midi ou à midi au plus tard, selon ses propres termes, tu verras ici ton amie Guinier, et tu verras aussi ton compagnon Cador qui donnerait son poids en or et même davantage pour ta guérison. – Cher ami, répondit Karadoc, bienvenue à toi et à ceux qui t’envoient. Hélas ! comme je trouve discourtois de ne point aller à leur rencontre ! » Il se tut un instant, le temps de se demander comment épargner à Guinier la vue de son horrible état. « Ami, reprit-il à l’adresse du messager, ce que tu m’as dit m’a grandement réconforté. Tu m’assures que la jeune fille ne me méprisera pas en voyant l’ignoble serpent qui me ronge. Comment se pourrait-il, hélas ? Dans ce combat fatal, je me détesterais moins mort que vivant ! Que, néanmoins, la volonté de Dieu soit faite : demain, je recevrai Guinier et Cador. » Puis, se tournant vers le roi : « Seigneur, dit-il, veille à ce que cet homme soit bien logé et traité. Pour l’instant, je désire rester seul afin de me reposer. Ne me laissez que ce jeune page que j’ai ramené de l’île de Bretagne avec moi. Mon état est tel que je ne puis supporter présence trop nombreuse. – Il en sera comme tu le veux, dit le roi, je ferai en sorte que nul ne trouble ton repos. »
Sur ce, le roi de Vannes se retira, suivi du messager. Après le dîner, tous allèrent se coucher, et chacun bientôt dormit dans la forteresse. Seul Karadoc veillait. Quand le silence l’avertit que tout reposait, il appela le jeune page et lui dit : « Ami, ne sois ni étonné ni ennuyé si je te prends pour conseiller et confident. Je n’ai guère confiance en ma force, elle m’abandonne de jour en jour. Voilà pourquoi je prétends m’en remettre à toi. Mais je te prie de ne rien dévoiler de ma résolution quand tu la connaîtras. Près d’ici se dresse une chapelle bâtie par un ermite qui y mène en prières une très sainte vie. J’ai grande envie d’aller trouver cet homme. Il me semble qu’après qu’il aura prié pour moi, le cruel serpent ne pourra plus rester noué à mon bras mais sera obligé de me lâcher. Or, l’une des règles que s’est imposées ce saint homme est de ne jamais quitter son lit, quelque nécessité qui l’en presse. Prends avec toi tout ce que nous avons apporté de Bretagne et aide-moi à sortir d’ici sans que personne s’en aperçoive. – Seigneur, répondit le page, tu me vois prêt à exécuter chacun de tes ordres. »
Après s’être équipés rapidement, ils déverrouillèrent une porte qui donnait sur le verger, lequel était clos de hauts murs. Une fois là, ils se mirent en quête d’une issue mais n’en trouvèrent aucune. Aussi passèrent-ils toute la nuit à percer un trou dans le mur et, cela fait, sortirent dans la campagne. Alors, Karadoc, qui connaissait bien la région, leur fit emprunter des chemins écartés sur lesquels ils ne risquaient pas de croiser âme qui vive. Ils parvinrent ainsi à la cabane d’un ermite très vertueux qui s’était retiré au plus profond des bois.
Sur-le-champ, Karadoc entra dans la chapelle où l’ermite le salua en termes aimables et gracieux, et il lui rendit son salut avec autant de courtoisie. Puis il fit une prière fervente mais courte, car le serpent le torturait affreusement. Aussi, sitôt achevées les oraisons, dut-il s’asseoir. Le voyage l’avait épuisé, et la plante des pieds lui faisait mal, car il n’avait pas l’habitude de marcher. S’adressant à lui, le saint homme lui demanda d’abord son nom, puis le lieu de sa naissance, enfin l’objet de sa visite. Karadoc se nomma, narra sans omettre le moindre détail son histoire en confession, et acheva sur les circonstances dans lesquelles le serpent s’était attaché à son bras, grâce à la ruse de ses parents. Toutefois, il le fit en s’humiliant lui-même, s’accusant et se chargeant de tous les torts, déplorant de s’être mal conduit vis-à-vis de son père et d’avoir grandement péché contre sa mère. Tout en parlant, il soupirait et pleurait du fond du cœur. « Je suis le
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