La mort du Roi Arthur
d’apprendre qu’il ne s’avisa même pas de la dureté de son lit. Les ermites, d’ailleurs, l’avaient traité de leur mieux… Aussi, dès le matin, se leva-t-il, impatient de revoir Karadoc.
Comme prévu, celui-ci vint. Afin de mieux le guetter, Cador s’était placé dans un recoin de l’église où on ne pouvait le voir. Karadoc, sans se douter de rien, entra donc sans crainte dans la nef et se mit à prier Dieu avec ferveur. Mais son ami, ne le reconnaissant pas, résolut de s’approcher. Karadoc, plongé dans ses oraisons, ne l’entendit pas venir. Alors, Cador lui dit doucement : « Frère ! frère ! je t’ai enfin retrouvé ! Tant de fois je me suis mis les jambes et les pieds en sang à explorer jusqu’à l’épuisement d’innombrables pays ! Voilà deux ans et plus que je te cherche sans relâche. Mais qui donc t’a fait prendre cet habit-là ? Certes, il est indigne de toi de porter des hardes pareilles ! »
Karadoc était en effet vêtu de deux tuniques, chaussé de grandes bottes et coiffé d’un capuchon si troué que plus Cador le regardait, plus croissait sa pitié. Mais Karadoc ne répondit rien. Il avait reconnu Cador et éprouvait tant de honte de son état qu’en présence de son compagnon il n’arrivait pas à desserrer les dents. Baissant son capuchon sur ses yeux, il se coucha sur le sol. Mais Cador, s’approchant de lui, le releva et l’embrassa. « Ami très cher, dit-il, tu as longtemps souffert à cause du serpent qui te mine et détruit le corps. Mais ne me déguise pas la vérité : nous sommes dans une église et tu ne dois pas me mentir. Qui t’a poussé à quitter ton pays ? Pourquoi avoir ainsi fui ton amie Guinier qui t’aime plus qu’elle-même ? »
À ces mots, Karadoc soupira longuement et se mit à pleurer. « Ah ! cher compagnon de mes joies, dit-il enfin, je crains trop qu’elle ne me méprise et me soit moins tendre en voyant mon malheur. Je me suis enfui par désespoir de n’être pas mort. La mort est tout ce que je souhaite, car la vie m’est insupportable. » Tant de détresse portait à son comble l’affliction de Cador, mais il avait beau supplier Karadoc, celui-ci refusait de l’écouter. S’approchait-il, Karadoc le repoussait. Dans leur douleur, tous deux se mirent à pousser des cris si lamentables que les ermites accoururent et prirent part à la discussion. Mais rien n’y fit. Karadoc refusa obstinément d’accompagner Cador. Alors celui-ci prit une décision : il laisserait Karadoc là où il était et s’arrangerait pour trouver le remède à ses maux. Aussi pria-t-il les ermites de prendre grand soin du blessé et de le nourrir selon ses besoins. « Je vous promets, en vérité, leur dit-il, que vous serez bien payés de retour pour tous vos bienfaits ! » Et, sans plus attendre, il remonta sur son cheval et quitta l’ermitage.
Il se rendit directement à Vannes et obtint du roi la permission de s’entretenir avec la reine, toujours enfermée dans sa tour. Il se présenta donc devant elle et, après l’avoir saluée, la blâma et lui reprocha vivement de n’avoir cure de son fils que, par dureté de cœur, elle abandonnait aux pires souffrances. « Tout le monde t’accuse, ajouta-t-il, et te dit responsable de son malheur mais, je te l’affirme, tu retrouverais la considération et l’estime de tous si tu délivrais Karadoc de la malédiction qui pèse sur lui. Certes, le devoir d’une mère est bien de corriger son enfant lorsqu’il a commis une faute mais, une fois la punition subie, ne se doit-elle pas de lui pardonner ? » La reine comprenait parfaitement où voulait en venir Cador. Elle demanda cependant : « Qu’attends-tu exactement de moi ? » S’approchant d’elle, il répondit : « Reine, je te demande de faire cesser les souffrances de ton fils Karadoc. – Il est donc en vie ? – Oui, certes, et je sais même où il se trouve. » La reine Ysave demeura un instant silencieuse et quelques larmes roulèrent le long de ses joues. « Sur mon âme, dit-elle, j’ignorais même s’il était encore vivant. Je le croyais mort, et je me reprochais amèrement son sort. Assurément, on me blâmerait fort et à juste titre si l’on apprenait que mon propre enfant a succombé à des tourments que j’avais le pouvoir de guérir. Reviens demain, Cador, et, sans faute, je te dirai s’il peut guérir ou s’il doit mourir. »
Cador prit sur-le-champ congé d’elle, le cœur plein
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