La mort du Roi Arthur
pire homme de la terre », conclut-il enfin, et la violence de son chagrin le força de s’étendre à terre.
Au comble de la compassion, l’ermite lui imposa une pénitence et lui donna l’absolution pour toutes les fautes qu’il avait pu commettre. Karadoc le supplia alors de ne rien révéler à son sujet, de feindre même ne l’avoir jamais vu si par hasard quelqu’un venait s’enquérir de lui. Puis il décida de demeurer là, dans cette forêt que sillonnaient à peine des sentiers étroits. Douze grandes lieues séparaient de Vannes l’ermitage et quatre de l’habitation la plus proche. Karadoc était tranquille : on ne le retrouverait pas.
Ce jour-là, cependant, Cador de Cornouailles et sa sœur Guinier arrivèrent à Vannes. Le roi les reçut avec beaucoup d’honneur, eu égard tant à la valeur bien connue de Cador qu’à l’amour voué par Guinier au triste Karadoc. On les mena tout de suite à la chambre où gisait celui-ci. Mais la porte en était bien fermée, car, en s’en évadant, Karadoc et son page l’avaient soigneusement verrouillée de l’intérieur. Guinier s’avança la première et, à travers l’huis, murmura : « Ami, ouvre ou fais ouvrir. Puisqu’il t’est impossible de sortir, laisse entrer ton amie, qu’elle puisse te voir. C’est manquer de courtoisie que de se cacher quand son amie appelle. Ouvre, mon cher et tendre ami, car je suis folle d’inquiétude pour toi. Depuis que j’ai su ton malheur, je n’ai eu ni joie, ni plaisir d’aucune sorte. »
Quand elle comprit qu’il n’ouvrirait pas, elle se mit à crier : « Tendre et cher ami, que t’ai-je fait pour mériter pareil tourment ? Pourquoi te dérober ainsi à moi ? Je ferai forcer cette porte, avec l’aide de Dieu, le roi du ciel, je te l’assure ! Pourquoi t’obstiner à me refuser ? » À force de se démener, elle trouva un moyen pour ouvrir la porte. Alors, son frère et elle constatèrent que Karadoc ne se trouvait pas dans la chambre et ils découvrirent bientôt la porte donnant sur le clos. Après avoir vainement fouillé celui-ci de fond en comble, ils durent se rendre à l’évidence que Karadoc et le page avaient percé le mur afin de s’enfuir.
Guinier demeura consternée. « Hélas ! mon ami, s’exclamait-elle, comment as-tu pu imaginer pareille ruse pour me tromper ? Comment as-tu pu songer à fuir sans moi ? Non, cela ne se peut ! C’est, je crois, pour m’épargner la vue de ta mort que tu t’es enfui… Mais fuir était bien vain, car, assurément, je ne te survivrai pas d’un seul jour sur cette terre ! Tu n’aurais pas dû me fuir mais, au contraire, dès que le serpent s’est emparé de toi, m’envoyer un messager pour que je vinsse à ton chevet. Ainsi aurais-je eu le bonheur de partager ton malheur ! Car il est bien connu qu’un fardeau pèse moins quand on le porte à deux ! »
Cador eut beau tenter de calmer sa sœur, rien n’y fit. Elle se mit à se lamenter de plus belle : « Ah ! malheureuse ! Pourquoi suis-je née ? Mon ami me tourne le dos et me fuit. Je mériterais d’être brûlée vive sur un bûcher, car je le sais, maintenant, s’il a fui, c’est seulement de peur de m’entendre lamenter son sort et le mien devant lui. Voilà pourquoi il n’a pas osé rester. Malheureuse ! Voici qu’il s’éloigne, emportant mon cœur ! S’il meurt, croit-il que je pourrai survivre ? Nous sommes si intimement liés l’un à l’autre que rien ne pourra jamais nous séparer. Ah ! Karadoc, pourquoi avoir douté de moi ? » Et la belle Guinier se reprit à pleurer et à sangloter.
La nouvelle de la disparition de Karadoc parvint très vite à la cour d’Arthur. Aussitôt averti, le roi décida de passer lui-même la mer et d’aller sur place rechercher son petit-neveu. Il emmena Gauvain, Agravain, Yvain et Girflet, et il eut tôt fait de débarquer en Bretagne armorique où il retrouva son cousin Cador de Cornouailles et sa sœur, la belle Guinier qui, tout en pleurs, appelait ardemment la mort. Arthur et ses compagnons se mirent immédiatement à la recherche de Karadoc et, dans le pays, il ne demeura bientôt forteresse, manoir, ville ou forêt qu’ils n’eussent visités ou explorés de fond en comble. Au cours de leurs recherches, ils étaient naturellement passés par l’ermitage où résidait Karadoc, mais ne l’avaient pas découvert, tant il prenait soin de se dissimuler. Pour éviter d’être reconnu, il avait
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