La mort du Roi Arthur
belle et aussi avenante, Lancelot se trouva fort embarrassé. « Jeune fille, répondit-il, je t’en prie, relève-toi. Sache en vérité qu’il n’est rien que je ne fasse pour te satisfaire, si toutefois ta requête n’excède pas mes moyens. » Alors, se relevant aussitôt, elle dit : « Seigneur, sois cent mille fois remercié d’avoir accepté. Sais-tu ce que tu m’as promis ? C’est de porter au tournoi de Caerwynt ma manche droite en guise de panonceau sur ton heaume et de te battre pour l’amour de moi. »
À ce coup, qui fut bien ennuyé, ce fut Lancelot. Mais il ne pouvait se dédire puisqu’il avait donné sa parole. « Que dira la reine, se lamentait-il à part lui, si elle apprend que j’ai combattu pour l’amour d’une autre qu’elle-même ? Elle ne me pardonnera jamais ! » Il se rendait néanmoins compte que force lui était pourtant de courir l’aventure, sous peine de se parjurer vis-à-vis de la Demoiselle d’Escalot.
Celle-ci ne fut pas longue à lui apporter la manche qui servirait de panonceau. Elle n’oublia pas davantage de le prier de combattre avec tant d’ardeur pour l’amour d’elle qu’elle n’eût qu’honneur de lui avoir confié ses couleurs. « Sache, reprit-elle, que tu es le premier chevalier à qui j’aie adressé pareille requête, et que je ne l’aurais jamais fait si je n’avais discerné ta grande prouesse. » Par courtoisie, Lancelot répondit que, pour l’amour d’elle, il se comporterait de manière à n’encourir nul blâme.
La nuit tombait quand il quitta le manoir en compagnie du fils du vavasseur. Ils chevauchèrent toute la nuit et, un peu avant le lever du soleil, parvinrent aux abords de Caerwynt. « Seigneur, dit le jeune homme, où veux-tu que nous allions loger ? – S’il se trouvait, répondit Lancelot, quelque endroit dans les environs où nous puissions nous retirer sans éveiller la curiosité, j’en serais fort aise, car je n’ai nullement l’intention d’entrer dans Caerwynt. – Ma foi, dit l’autre, il me vient à l’esprit que tout près d’ici, sur la gauche, à l’écart de la grande route, se trouve la maison d’une de mes tantes, sœur de mon père, noble femme qui nous logera fort bien et nous traitera du mieux qu’elle pourra. – Parfait, repartit Lancelot, et dis-lui bien que je la récompenserai largement. »
Quittant alors la grande route, ils s’engagèrent sur un étroit chemin qui sinuait à travers bois et parvinrent très discrètement auprès du logis de la dame. Quand ils furent descendus de cheval, celle-ci reconnut son neveu et lui fit le plus joyeux accueil, car elle ne l’avait pas revu depuis son adoubement. Et après que le fils du vavasseur lui eut expliqué que son compagnon voulait se loger à l’écart, de peur d’être reconnu, elle se montra d’une extrême amabilité, car tout lui désignait Lancelot pour un preux chevalier.
Elle l’emmena donc dans une chambre où elle l’invita à s’étendre, pour se reposer de sa chevauchée nocturne, sur un lit magnifique. Il y passa la journée et s’y vit offrir tout ce qu’il fallait pour ses aises et son réconfort. Le lendemain matin, il envoya son écuyer à Caerwynt s’enquérir des conditions exactes du tournoi, du parti qui apporterait son aide aux défenseurs de la ville et de celui qui soutenait les attaquants.
L’écuyer se hâta si bien de se renseigner qu’il était de retour avant que Lancelot eût commencé à revêtir ses armes. Aussitôt introduit près de son maître, il déclara : « Seigneur, il se trouve beaucoup de gens dans l’un et l’autre camp, car les chevaliers, connus ou inconnus, ont afflué de toutes parts. Pourtant, c’est dans le camp des défenseurs que réside la force principale, car elle inclut les compagnons de la Table Ronde. – Sais-tu, l’interrompit Lancelot, de quel côté joutent Bohort, Lionel et Hector ? – Seigneur, ils sont, comme il se doit, avec les défenseurs. Sans quoi, se comporteraient-ils en véritables compagnons ? – Et qui trouve-t-on dans le camp adverse ? – On y voit, seigneur, le roi d’Écosse, le roi d’Irlande et nombre d’hommes de haut rang. Mais les braves y sont moins fréquents que dans l’autre, vu qu’y figurent des chevaliers tous étrangers à ce pays et dont les habitudes diffèrent de ceux de Bretagne. – Fort bien, dit Lancelot, je combattrai donc avec eux. »
Lorsqu’il eut fini de s’équiper, il monta à cheval et
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