La mort du Roi Arthur
journée, Lancelot n’ouvrit les yeux ni ne prononça un seul mot, si bien qu’on l’aurait cru à demi mort. Le lendemain, il reprit pourtant quelques forces, assez pour feindre du moins n’avoir ni mal ni douleur, et déclara au médecin : « Maître, grâce à Dieu et à toi-même, je me sens beaucoup mieux aujourd’hui. À coup sûr, me voici à même, maintenant, de chevaucher sans aucune fatigue et d’aller au tournoi de Dinas Emrys. » Le médecin se mit à protester vigoureusement : « Ah ! s’écria-t-il, tu es vraiment fou, seigneur chevalier ! Monterais-tu le meilleur cheval du monde, sache-le, tu ne parcourrais pas une lieue sans tomber raide mort. Tu es encore si faible et si mal en point que je ne réponds pas de ta vie si tu bouges seulement d’ici ! – Pourtant, insista Lancelot, il est absolument nécessaire que je me rende au tournoi de Dinas Emrys. – Dans ce cas, répondit le médecin, je t’abandonne sur l’heure. Il est inutile que je persiste à te soigner. Je t’assure, en toute loyauté, que tu ne saurais chevaucher deux lieues sans y succomber. Demeure seulement quinze jours de plus avec nous, et je te garantis que, d’ici là, tu auras recouvré pleinement tes forces et ta santé. Alors, il te sera possible de chevaucher en toute sécurité, de quelque côté que ton désir t’entraîne. – Fort bien, dit Lancelot, je resterai donc, puisqu’il le faut. Mais j’en suis bien triste et affligé. »
Là-dessus, il se tourna vers l’écuyer qui lui avait la veille parlé du tournoi, et qui se tenait auprès de lui. « Ami, lui dit-il, j’espérais bien partir avec toi pour Dinas Emrys, mais c’est chose impossible. Tu t’y rendras donc seul, mais je te prie de bien vouloir transmettre un message à Gauvain, le neveu du roi, et à madame la reine : tu les salueras au nom du chevalier qui remporta la victoire à Caerwynt. Toutefois, s’ils t’interrogent à mon sujet, ne leur dis rien de moi ni de l’endroit où je me trouve. » Après avoir promis de s’acquitter ponctuellement de sa tâche, l’homme se mit en selle et s’en fut au rendez-vous de Dinas Emrys.
Or, comme il était bien connu du roi de Norgalles, il alla loger chez celui-ci et y demeura jusqu’à la veille du tournoi. À la tombée de la nuit, Gauvain fut hébergé dans la même maison et y retrouva Bohort, Lionel et Hector qui lui firent fête et l’accueillirent joyeusement. Au cours du repas, l’écuyer, qui faisait le service du vin, se trouvait près de Gauvain quand il se prit à rire, tout à coup, en se souvenant de la folie du chevalier qui voulait entreprendre de venir au tournoi malgré sa terrible blessure. Surpris par cette attitude, Gauvain l’en interrogea. « Voici, seigneur, répondit l’écuyer. Je viens de penser à un chevalier que j’ai vu avant-hier, et vraiment le plus fou que je connaisse. Quoique si grièvement blessé qu’il risquait la mort au moindre mouvement, il voulait nonobstant venir à toute force au tournoi, que son médecin le permît ou non. Et pourtant, il était si mal en point qu’à peine pouvait-il parler ! – Ami, lui dit Gauvain, qui est ce chevalier ? – J’ignore son nom, répondit l’écuyer, mais il m’a charger de saluer madame la reine et le seigneur Gauvain de la part du chevalier vainqueur au tournoi de Caerwynt. » En entendant ces paroles, Gauvain comprit tout de suite que le message émanait de Lancelot. Aussi demanda-t-il encore : « Ami, en quel lieu se trouvait le chevalier dont tu me parles ? – Seigneur, je manquerais à ma parole si je le révélais. Il m’a fait jurer de ne rien dire à ce sujet. »
Bohort, Lionel et Hector, qui avaient entendu toute cette conversation, comprirent eux aussi qu’il s’agissait de Lancelot. Ils insistèrent auprès de l’écuyer pour qu’il leur indiquât l’endroit où se trouvait le chevalier. Mais le jeune homme ne voulait rien dire et, à la fin, comme Bohort, se faisant plus pressant, tentait de lui arracher les vers du nez, il lui donna une fausse indication. Aussi, Bohort annonça-t-il que son frère, son cousin et lui-même partiraient à sa recherche dès la fin du tournoi et n’auraient de cesse qu’ils ne l’aient retrouvé.
Le lendemain, sur la prairie qui s’étendait au pied de la forteresse de Dinas Emrys, les chevaliers se réunirent. On voyait là, outre ceux de la Table Ronde, ceux de quatre royaumes. De nombreuses joutes les opposèrent tout au
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