La mort du Roi Arthur
« As-tu déjà vu chose si merveilleuse ? – Certes non, répondit Sagremor, et m’est avis que nous n’en reverrons de semblable de sitôt ! » Le roi se signa. « J’espère, dit-il, que ce n’est pas là diablerie. Mais, par ma foi, si l’intérieur recelait d’extraordinaires trésors, je n’en serais pas autrement surpris, tant sont admirables ceux qui figurent à l’extérieur ! »
Le roi descendit alors de cheval, et ses compagnons l’imitèrent. Après que chacun eut attaché sa monture et déposé ses armes auprès du montoir, tous franchirent le seuil, et ils aperçurent alors une femme aux cheveux très noirs qui, vêtue d’une magnifique robe de soie rouge, était entourée de nombreuses jeunes filles, toutes plus belles les unes que les autres. Et elle les accueillit en disant à très haute voix : « Seigneurs, soyez les bienvenus en ce lieu, car jamais ne nous a été donné plus insigne honneur que de recevoir en personne le roi Arthur et quelques-uns de ses compagnons. » Arthur lui répondit par des paroles aimables et s’avançait pour la saluer quand il reconnut en elle Morgane. « Ma sœur ! s’écria-t-il, si je me doutais ! Quelle merveilleuse demeure est la tienne ! – Mon frère, répondit-elle, je suis bien heureuse de te revoir et j’espère que tu ne manqueras de rien tant que tu demeureras dans ce manoir que j’ai fait construire pour mon repos et mon délassement. » Là-dessus, sans ajouter un mot, Morgane conduisit ses hôtes dans une seconde salle encore plus belle, dont les murs étaient recouverts de tapisseries somptueuses et le plafond orné des peintures les plus variées.
Dès que le roi eut pris un siège et se fut lavé les mains, les tables furent dressées, et l’on fit asseoir les chevaliers qui l’accompagnaient. Des jeunes filles apportèrent alors des mets aussi nombreux que si les préparatifs avaient duré un mois en vue de la visite du roi. Arthur n’avait vu de sa vie, pas même lorsque le Graal était apparu aux compagnons de la Table Ronde, table aussi richement servie. S’il se fût trouvé en la cité de Kamaalot et mis en devoir d’offrir à ses propres hôtes un grand festin, la chère n’eût pu être plus abondante ni plus courtoisement servie. Et il avait beau savoir Morgane dotée d’étranges pouvoirs, il ne pouvait s’empêcher d’admirer la magnificence de son hospitalité. On en était au milieu du repas quand le roi, tendant l’oreille, perçut, en provenance d’une chambre voisine, le son d’instruments de toutes sortes qui jouaient si bien d’accord et si doucement qu’il n’avait jamais entendu de mélodie plus agréable. Au surplus, une clarté si éclatante émanait de ladite chambre qu’elle allait jusqu’à baigner tout du long la table.
Quand on eut fini de boire et de manger, deux jeunes filles sortirent de cette même pièce, qui, toutes deux fort belles, portaient sur deux chandeliers de grands cierges flamboyants. Elles s’approchèrent d’Arthur et lui dirent : « Roi, s’il te plaisait, il serait temps de te reposer, car la nuit est déjà bien avancée, et tu as tant chevauché que tu dois être las. – En effet, répondit le roi, j’ai grand besoin de dormir. – Nous sommes venues te mener à ton lit, ainsi que nous en avons reçu l’ordre. – Je vous suivrai volontiers. » Le roi se leva alors, et les jeunes filles le conduisirent dans une belle chambre où un lit somptueux avait été préparé. Elles prirent soin de le coucher et, dès qu’il fut endormi, elles sortirent, fermèrent la porte et allèrent rejoindre leur maîtresse.
Morgane, assez rêveuse, leur demanda si le roi était satisfait de l’accueil qu’on lui avait réservé. Elles répondirent qu’il paraissait ravi et se promettait de dormir paisiblement toute la nuit. Morgane les congédia et demeura assise un long moment, tout occupée du roi son frère. Elle éprouvait l’ardent désir de lui faire connaître les aventures de Lancelot et de la reine Guenièvre. La chose était des plus faciles. Ne suffisait-il pas, en effet, de mener Arthur dans la chambre dont Lancelot, pour tromper l’ennui de sa longue détention, avait illustré les murs par le récit de ses amours {48} ? Mais Morgane redoutait que, si la reine apprenait sa trahison et si Lancelot en était informé, il ne se vengeât cruellement en la faisant mourir. Que faire ? se disait-elle. Parler lui ferait courir grand péril. Mais se
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