La mort du Roi Arthur
risque d’avoir le dessous en la combattant. Aussi te supplié-je, au nom de Dieu, de ne pas entreprendre de guerre contre ces gens-là car, j’en suis sûr, ils sont difficiles à vaincre. »
Ces paroles soulevèrent dans la salle un tumulte de protestations. On en blâma fort le roi Yon, l’accusant même, ouvertement, d’avoir parlé par couardise. « En vérité, riposta-t-il, si je parle ainsi, ce n’est pas que je tremble plus que vous ne faites. Seulement, je sais bien qu’une fois la guerre commencée, nos ennemis, s’ils réussissent à passer dans leur pays sains et saufs, redouteront vos coups bien moins que vous ne le pensez. » Du milieu du brouhaha, Mordret l’apostropha : « Roi Yon ! Je n’ai jamais entendu vaillant homme donner si mauvais conseils ! Si le roi Arthur veut m’en croire, il ira en guerre et t’y emmènera, qu’il te plaise ou non. – Hé, Mordret ! répliqua le roi Yon, j’y mettrai sûrement plus de cœur que toi ! Que le roi se mette en route quand il le voudra. »
Mador de la Porte intervint : « Votre dispute est étonnante, dit-il calmement. Si vous voulez faire la guerre, il ne sera pas nécessaire d’aller bien loin, puisque Lancelot possède une forteresse dont il fit la conquête lorsqu’il commença à courir les aventures. Cette forteresse, c’est la Joyeuse Garde, et nous ne saurions douter un seul instant que Lancelot n’aille s’y réfugier. Elle a des remparts solides, vous pouvez m’en croire, puisque j’y fus jadis retenu captif jusqu’à ce que Lancelot m’en délivre, ainsi que mes compagnons. – Par ma foi, dit Arthur, je la connais aussi ! Et, selon toi, Lancelot y aurait emmené la reine ? – Certainement, répondit Mador. Et sans doute s’y trouve-t-elle déjà. Mais je ne te conseille pas d’attaquer la place, car elle est si bien retranchée et si bien défendue que ceux qui s’y trouvent n’ont rien à craindre d’éventuels assaillants. D’ailleurs, ils sont tous si vaillants qu’ils ne manqueraient pas, le moment venu, de nous jouer quelque tour dont nous aurions tout lieu de nous repentir.
— Mador, dit Arthur, tu as raison en ce qui concerne la sûreté de cette forteresse, ainsi que le courage et la ruse de ceux qui s’y trouvent. Mais tu sais bien, comme tous ceux qui sont ici, que, depuis que je porte la couronne, je n’ai jamais entrepris de guerre que je n’en sois sorti à mon avantage et à celui du royaume. Je t’affirme donc que, pour rien au monde, je ne renoncerai à faire la guerre à ceux qui ont causé la perte de mes parents bien-aimés. Aussi fais-je appel à tous les gens ici présents et compté-je m’adresser sous peu à tous ceux qui, proches ou lointains, tiennent de moi leur terre. Je les prierai tous de me rejoindre à Kamaalot au plus vite, afin que nous puissions nous mettre en route dans quinze jours. J’entends qu’aucun de vous ne se dispense de participer à cette entreprise, et je vous requiers de jurer tous sur les saintes reliques que vous poursuivrez cette guerre jusqu’à ce que nous ayons vengé notre honte et lavé notre honneur. »
Arthur fit alors apporter les reliques, et tous ceux qui étaient rassemblés dans la grande salle prononcèrent le serment requis, certains avec enthousiasme, d’autres d’un ton simplement résigné. Après quoi, le roi envoya ses messagers par tout le royaume ordonner à ses vassaux de se réunir à Kamaalot au jour dit, car il avait l’intention de se porter, avec toutes ses forces, contre la Joyeuse Garde, afin de venger la honte infligée au royaume de Bretagne par Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc {56} .
9
Le Siège de la Joyeuse Garde
Au jour fixé par Arthur pour le rassemblement, Kamaalot vit arriver une telle quantité de gens, tant à pied qu’à cheval, qu’on n’avait jamais vu réunie de chevalerie si nombreuse. Cette vue réconforta le roi, tout chagrin qu’il demeurât du deuil où l’avait plongé le sort funeste de ses trois neveux. Quant à Gauvain qui, après être resté prostré pendant de longs jours, se trouvait de nouveau en bonne santé, il surveillait les préparatifs de l’expédition. Or, comme le départ approchait, il s’en fut trouver le roi son oncle et lui dit : « Seigneur, avant de prendre la route, je te conseillerais volontiers de choisir parmi la foule des barons autant de vaillants chevaliers qu’il en fut tué lors de la fatale bataille que suscita le sort de la
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