La mort du Roi Arthur
multiplierait les chances de mettre la main sur les fugitifs. « Par Dieu tout-puissant ! riposta Girflet, fils de Dôn, je ne suis pas de cet avis. Si tes barons vont chacun de son côté et que Lancelot les rencontre séparément, accompagné qu’il est de chevaliers forts et courageux, je ne donne pas cher de ceux qui croiseront sa route ! Autant les dire déjà perdus, car il les tuera ! – Dans ce cas, que faut-il donc faire ? demanda le roi. – Envoyer des messagers qui, dans tous les ports de ce pays, repartit Girflet, feront savoir que nul ne doit aider Lancelot à embarquer. Force lui sera ainsi, qu’il le veuille ou non, de demeurer dans les limites du royaume. Il nous sera dès lors facile de découvrir sa retraite, et nous marcherons sur lui en si grand nombre que ce sera un jeu de nous emparer de sa personne. Alors tu pourras assouvir sur lui ta vengeance. Tel est mon avis. »
Arthur le trouva bon et, appelant ses messagers, il les envoya dans chacun des ports du pays interdire qu’on laissât partir Lancelot. Puis lui-même s’en retourna dans la cité de Kamaalot. Une fois arrivé à l’endroit où gisaient ses chevaliers tombés au combat, il jeta un lourd regard circulaire et, sur sa droite, aperçut un corps qu’il reconnut immédiatement pour celui d’Agravain. Et il en éprouva une si cruelle douleur qu’il ne put davantage tenir en selle et tomba, évanoui, à même le cadavre de son neveu. Quand il eut repris conscience, il se lamenta : « Ah ! beau neveu, il te haïssait donc à ce point, celui qui t’a frappé ! Sachez-le, vous tous, qu’il m’a mis au cœur une profonde peine, celui qui amputa mon lignage d’un tel chevalier ! » Et il ordonna de transporter la dépouille dans la cité.
Puis, toujours en pleurs, il parcourut le champ de bataille en tous sens et finit par trouver la victime de Bohort, Gareth, dont la vue redoubla ses sanglots et ses lamentations. Ah ! certes, il avait trop vécu ! Et à quoi bon vivre si c’était pour devoir supporter la mort de ceux que l’on chérissait tendrement ? Sur son ordre, on plaça le corps de Gareth sur un bouclier et on l’emporta à son tour vers Kamaalot. Tout perclus de chagrin, le roi reprit sa marche et, à la longue, sur sa gauche, découvrit, tout défiguré, Gahériet que, par inadvertance, avait pourfendu Lancelot. Or, de tous ses neveux, Gahériet était, après Gauvain, le favori d’Arthur. Aussi celui-ci, devant le cadavre de celui qu’il avait tant aimé, manifesta-t-il une douleur encore plus vive. Il se jeta sur lui, l’étreignit étroitement puis, là, demeura pâmé si longtemps que ses barons redoutèrent qu’il ne trépassât sous leurs yeux. Et il ne fut pas un de ceux qui se trouvaient là qui n’eût le cœur étreint de tristesse et d’angoisse.
Cependant, les cris et les clameurs avaient fini par tirer Gauvain de sa sombre torpeur. Se figurant que la reine était morte et qu’on déplorait son trépas, il sortit dans la rue et, aussitôt, les passants lui dirent : « Ah ! Gauvain, si tu veux connaître l’étendue de ton malheur, entre dans la maison du roi. Le plus cruel spectacle t’y attend, celui de ta famille anéantie ! » Bouleversé au point de ne rien répondre, Gauvain, tête basse, allait par la cité, n’osant croire que l’on portât le deuil de ses frères. À droite, à gauche, tout pleurait sur son passage. Il entra dans la maison du roi et y vit chacun si pénétré de douleur et accablé qu’il semblait que tous les princes du monde fussent morts. Et Arthur, en l’apercevant, s’écria : « Ah ! Gauvain, Gauvain ! Vois donc ton malheur et le mien ! Gahériet, ton frère, et le plus vaillant de notre lignage, n’est plus ! Regarde, Gauvain ! » Et, tout en pleurs, il lui montrait le visage ensanglanté de Gahériet.
À cette vue, Gauvain n’eut pas la force de répondre, il fut même incapable de rester plus longtemps debout. Le cœur lui manqua, et il tomba évanoui dans les bras des barons qui, au comble eux-mêmes de l’affliction, s’attendirent à ne plus connaître dorénavant quelque joie que ce fût. Quand Gauvain, reprenant conscience, se fut relevé, il se précipita sur le corps de son frère, le pressa contre sa poitrine et se mit à sangloter si fort qu’il perdit conscience une nouvelle fois. « Dieu ! s’exclamèrent ceux qui assistaient à cette scène, nous n’avons jamais subi de si grand malheur ! »
À peine
Weitere Kostenlose Bücher