La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes
l’extrême et ses vêtements ne tenaient ensemble qu’à l’aide d’épines. Il
était l’un des marins d’Ulysse, leur dit-il ; il avait été oublié par
mégarde dans la caverne de Polyphème et depuis il vivait dans les bois de tout
ce qu’il pouvait y trouver, dans la terreur perpétuelle d’être découvert par
les Cyclopes. Ceux-ci étaient une centaine, tous aussi gigantesques et
terrifiants que Polyphème. « Fuyez, levez-vous et partez en hâte »,
haletait le malheureux. « Rompez les amarres qui retiennent vos navires au
rivage. » Ils firent comme il disait, coupant les câbles et faisant hâte
aussi silencieusement que possible. Ils avaient à peine mis à la mer qu’ils
aperçurent le géant aveugle descendant lentement vers la grève pour y laver la
cavité béante de son orbite, d’où le sang coulait toujours. Il entendit le
bruit des rames labourant l’eau, et courant dans la direction du son, il entra
dans la mer. Mais les Troyens s’étaient suffisamment éloignés ; avant
qu’il pût les rejoindre, la profondeur de l’eau devint trop grande même pour sa
taille gigantesque.
Ils n’évitèrent ce péril que pour en rencontrer un autre,
tout aussi grand. En contournant la Sicile, ils furent assaillis par une
tempête comme il n’y en eut jamais, ni avant ni depuis. Si hautes étaient les
vagues qu’elles léchaient les étoiles, et si profonds les golfes qui les
séparaient, que les abîmes de l’Océan en étaient révélés. Sans nul doute, il
s’agissait là de bien plus qu’une tempête terrestre, et en fait, Junon n’y
était pas étrangère.
Comme on le sait, elle haïssait tous les Troyens ;
jamais elle n’avait oublié le jugement de Pâris et pendant la guerre, elle
s’était montrée l’ennemie la plus acharnée de Troie, mais c’est à Enée surtout
qu’elle réservait une hostilité particulière. Elle savait que Rome – bien des
générations après Enée – serait fondée par des hommes de sang troyen et que
cette cité était d’ores et déjà destinée par les Parques à détruire Carthage.
Or Carthage était sa cité favorite, elle la préférait à tout autre lieu sur la
terre. On ne sait si elle espérait vraiment pouvoir se dresser contre les
décrets des Parques, ce qui était interdit même à Jupiter, mais il est certain
qu’elle fit de son mieux pour noyer Enée. Elle alla trouver Eole, le roi des
Vents, celui-là même qui avait tenté d’aider Ulysse, et elle lui demanda de
faire sombrer les vaisseaux troyens ; elle lui promit en retour de lui
donner sa plus jolie nymphe pour épouse. Le fruit de cette conversation fut la
formidable tempête, qui aurait certainement obtenu le résultat escompté par Junon
si Neptune n’était intervenu. En tant que frère de Junon, il était parfaitement
conscient de ses façons de procéder et il la voyait sans plaisir s’interposer
entre lui et ses mers. Cependant, tout comme Jupiter, il usait d’une très
grande prudence dans ses relations avec elle. Il ne lui dit pas un mot, mais se
contenta d’envoyer une sévère réprimande à Eole. Puis il calma la mer, ce qui
permit aux Troyens d’atteindre la terre. Et ce fut sur la côte septentrionale
d’Afrique que ceux-ci ancrèrent enfin leurs navires, poussés jusque-là par les
vents, depuis la Sicile. Il se trouva qu’ils abordèrent non loin de Carthage,
et aussitôt, Junon se prit à réfléchir à la façon dont elle pourrait employer
cette arrivée à leur désavantage et au profit des Carthaginois.
Carthage avait été fondée par une femme, Didon ; elle y
régnait encore et elle en avait fait une cité immense et splendide. Elle était
belle et veuve ; Enée avait perdu sa femme pendant la nuit où il s’était
enfui de Troie. Selon le plan de Junon, ils s’éprendraient l’un de l’autre et
ainsi Enée renoncerait à l’Italie pour s’établir à Carthage, aux côtés de
Didon. C’était un plan excellent, n’eût été Vénus. Elle soupçonnait ce que
tramait Junon et elle était fermement décidée à l’empêcher. Elle-même nourrissait
d’autres projets. Si elle ne voyait aucun inconvénient à ce que Didon s’éprît
d’Enée, auquel tout mal serait ainsi épargné pendant son séjour à Carthage,
elle entendait bien que le sentiment d’Enée pour Didon ne fût rien de plus
qu’un consentement à se laisser combler par elle, il ne devait en rien peser
sur sa décision de se rendre en Italie lorsque le moment en
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