La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes
semblerait venu. À
cet instant critique, elle remonta donc dans l’Olympe pour y rencontrer Jupiter
et lui parler. Elle lui fit des reproches et ses beaux yeux se remplirent de
larmes. Son cher fils Enée était dans une situation rien moins que désespérée,
lui dit-elle, et lui, le Souverain des Dieux et des Hommes, avait promis
qu’Enée serait l’ancêtre d’une race qui un jour gouvernerait le monde. Jupiter
se mit à rire et l’embrassa, essuyant ainsi ses larmes. Ce qu’il avait promis
se réaliserait sans nul doute, affirma-t-il ; les descendants d’Enée
seraient les Romains, auxquels les Parques destinaient un empire sans terme ni
limites.
Grandement réconfortée, Vénus prit congé, mais afin de mieux
encore assurer son cas, elle se tourna vers son fils Cupidon. On pouvait se
fier à Didon pour produire sur Enée l’impression souhaitée, se disait-elle,
mais il était beaucoup moins sûr qu’Enée, livré à lui-même, réussît à se faire
aimer de Didon. La susceptibilité de celle-ci était bien connue. Tous les Rois
d’alentour avaient tenté de la persuader de les épouser, mais en vain. Vénus
convoqua Cupidon, qui promit d’embraser d’amour le cœur de Didon dès l’instant
où elle poserait les yeux sur Enée. Et pour Vénus, elle n’aurait aucune peine à
provoquer une rencontre entre les intéressés.
Au cours de la matinée qui suivit leur débarquement, Enée,
accompagné de son ami, le fidèle Achate, quitta ses infortunés partisans pour
tenter d’apprendre en quel lieu du monde ils avaient abordé. Avant de les
laisser, il leur adressa quelques paroles d’encouragement :
Camarades, vous et moi connaissons depuis
longtemps l’épreuve.
Nous avons subi des maux pires encore que celui-ci.
Ils prendront fin, eux aussi ; rappelez votre courage.
Chassez toute morne crainte. Un jour peut-être
Le souvenir de ce péril nous fera sourire…
Tandis que les deux héros exploraient cette contrée
inconnue, Vénus, déguisée en chasseresse, leur apparut. Elle leur dit où ils se
trouvaient et leur conseilla de se diriger sans tarder vers Carthage, dont la
Reine les aiderait sans nul doute. Grandement rassurés, ils prirent le sentier
que Vénus leur indiquait, protégés sans s’en douter par l’épais brouillard dont
elle les enveloppa. C’est ainsi qu’ils parvinrent à la ville sans incident et
marchèrent dans les rues populeuses sans être aperçus. Ils s’arrêtèrent devant
un grand temple, se demandant comment ils parviendraient jamais jusqu’à la
Reine, et là, un nouvel espoir leur fut donné. Comme ils contemplaient le
superbe édifice, ils aperçurent, merveilleusement sculptées dans les murs, les
batailles auxquelles ils avaient pris part l’un et l’autre, autour de Troie.
Ils reconnurent adversaires et amis : les fils d’Atrée, le vieux Priam
tendant les mains vers Achille, Hector mort. « Je reprends courage »,
dit Enée. « Ici aussi on verse des larmes, et les cœurs s’émeuvent à tout
ce qui est mortel. »
À cet instant, radieuse ainsi que Diane elle-même, Didon approcha,
suivie d’un grand cortège. Sur-le-champ, le brouillard qui enveloppait Enée se
dissipa et il apparut, beau comme Apollon. Quand il lui eut dit son nom, la
Reine, s’adressant à lui avec la meilleure grâce, lui souhaita ainsi qu’à ses
compagnons la bienvenue dans sa cité. Elle savait ce que ressentaient ces
hommes privés de foyer, car elle-même était venue en Afrique avec quelques
amis, fuyant un frère qui voulait la tuer. « N’ignorant pas la souffrance,
j’ai appris comment aider l’infortune », dit-elle.
Elle offrit un superbe banquet aux étrangers et cette
nuit-là, Enée raconta leur histoire, d’abord la chute de Troie puis leur long
voyage. Il parlait avec une grande éloquence, et même si un dieu ne s’en était
chargé, peut-être Didon aurait-elle succombé à tant d’héroïsme et à un si beau
langage. Mais Cupidon était là et elle n’avait plus le choix.
Elle fut heureuse quelque temps. Enée semblait lui être
attaché et elle, de son côté, répandait sur lui tout ce qu’elle possédait. Elle
lui donna à entendre que sa cité lui appartenait autant qu’à elle-même. Il
recevait les honneurs jusque-là réservés à la Reine, et elle obligea les
Carthaginois à le traiter comme s’il était lui aussi leur Souverain. Elle
combla aussi de faveurs ses compagnons ; jamais elle ne croyait en faire
assez pour eux.
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