La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes
savait où donner de la tête tant la cruauté de cet ordre la
désorientait – et vraiment, il semblait bien inutile de s’atteler à une tâche
aussi manifestement impossible. Mais celle qui n’avait su éveiller la
compassion ni chez les mortels, ni chez les immortels, fut, dans cet instant
pénible, prise en pitié par les plus petites des créatures, par les fourmis, ces
ouvrières infatigables. « Venez, ayez pitié de cette pauvre jeune fille ;
aidons-la avec diligence », se criaient-elles les unes aux autres. Elles
répondirent toutes aussitôt à l’appel ; elles vinrent par vagues
successives, et elles travaillèrent avec acharnement, séparant, triant, amoncelant ;
et ce qui n’avait été qu’une masse confuse devint une série de monticules bien
ordonnés, chacun composé d’une seule variété de semence. C’est ce que trouva
Vénus à son retour et cette vue la mit fort en colère. « Ton travail n’en
est pas pour autant terminé », dit-elle. Elle donna une croûte de pain à
Psyché et lui ordonna de dormir à même le sol, tandis qu’elle-même s’en allait
s’étendre sur sa couche molle et parfumée.
Si elle pouvait lui imposer longtemps un travail dur et
pénible et aussi l’affamer à demi, la beauté odieuse de cette fille ne pourrait
y résister. En attendant, elle veillerait à ce que son fils ne quittât pas la
chambre où il se trouvait encore, souffrant de sa blessure. Dans l’ensemble, Vénus
était satisfaite de la tournure que prenaient les événements.
Le matin suivant, elle trouva une nouvelle tâche pour Psyché,
une tâche dangereuse, cette fois. « En bas, près de la rivière, là où
poussent ces épais buissons, se trouvent des moutons dont la toison est d’or »,
lui dit-elle. « Va me chercher un peu de leur laine brillante. »
Quand la jeune fille, exténuée, atteignit le gracieux cours d’eau, un grand
désir lui vint de s’y jeter et d’amener ainsi la fin de ses peines et de son
désespoir. Mais comme elle se penchait, elle entendit une petite voix qui s’élevait
du sol, et baissant les yeux, elle comprit que la voix provenait d’un roseau. Il
lui disait qu’elle ne devait pas se noyer ; les choses ne se présentaient
pas mal à ce point. Les moutons étaient, certes, très violents et méchants, mais
si Psyché consentait à attendre le moment où, vers le soir, ils sortaient des
broussailles pour se reposer et s’abreuver au bord de la rivière, il ne lui
resterait plus qu’à entrer dans les fourrés et à y récolter toute la laine
dorée accrochée aux ronces.
Ainsi parla le doux et gentil roseau, et Psyché, ayant suivi
ses conseils, fut à même de rapporter une grande quantité de fils d’or à sa
cruelle maîtresse. Vénus s’en saisit avec un sourire plein de fiel. « Quelqu’un
t’a aidée », dit-elle d’un ton brusque. « Seule tu n’aurais pu en
venir à bout. Je vais te donner une nouvelle occasion de prouver que tu as le
cœur aussi résolu que tu le prétends. Vois-tu cette eau noire qui descend de
cette colline ? C’est la source du fleuve terrible et haï, le Styx. Tu y
rempliras le flacon que voici. » C’était la plus dure des tâches imposées
jusqu’ici ; Psyché s’en aperçut en arrivant à la cascade. Les rochers qui
l’entouraient de tous côtés étaient si escarpés et si glissants, l’eau s’y
précipitait d’une façon si terrifiante, que seule une créature ailée eût pu s’en
approcher. Mais dès à présent il devient évident à tous les lecteurs de cette
histoire (et peut-être Psyché, dans le fond de son cœur, en avait-elle
conscience elle aussi) que tout impossibles et incroyablement dures que
parussent ces épreuves, un excellent moyen de les surmonter lui était toujours
fourni au moment voulu. Son sauveur, cette fois, fut un aigle qui planait sur
ses grandes ailes non loin de là. Avec son bec, il lui prit le flacon des mains,
le remplit d’eau noire et le lui rapporta.
Mais Vénus s’entêtait. On ne peut s’empêcher de la
soupçonner d’un peu de stupidité. Tout ce qui se passait avait pour seul effet
de l’inciter à de nouvelles tentatives. Elle donna une boîte à Psyché avec pour
consigne de la porter dans le monde souterrain et de prier Proserpine d’y
mettre un peu de sa beauté. Psyché devait insister et faire comprendre à
Proserpine que Vénus en avait un urgent besoin, car elle s’était usée et
épuisée à soigner son fils malade.
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