La nef des damnes
temps, les porteurs vont souffler et donner à boire aux blessés.
Sans attendre de réponse, les deux hommes partirent sur le sentier caillouteux, disparaissant bientôt au milieu des hauts buissons d’arbousiers et des genêts. Ils marchèrent un moment puis le sentier obliqua franchement vers l’est.
— C’est l’autre chemin, faisons demi-tour.
— Ne trouvez-vous pas curieux que nous n’ayons rencontré personne ? demanda Tancrède. Cette île est plus étrange encore que la baie de Cales Coves.
Hugues ne répondit pas. L’état de Magnus le préoccupait et, à peine arrivé auprès des autres, il donna le signal du départ. Malgré les plaintes des blessés, les hommes soulevèrent les civières, et le convoi s’enfonça dans le moutonnement des ronces et des arbustes. Ils aperçurent des champs cultivés puis, au loin, se dessina un toit de tuiles.
— Ce doit être la bergerie, déclara Dreu. Nous sommes bientôt arrivés, on ne devrait pas tarder à voir le Castelas.
Ils repartirent. La file s’allongeait sur l’étroit sentier quand une haute silhouette revêtue de la robe claire des cisterciens leur barra le passage, s’inclinant pour les saluer.
— Que Dieu soit avec vous, mes frères.
Le visage du religieux restait dans l’ombre de sa capuche.
— Et avec vous. Mon nom est frère Dreu.
— Je suis Joce, le frère hôtelier. Le guetteur nous a prévenus de votre arrivée et je suis venu vous chercher pour vous conduire à notre hôtellerie.
Le religieux s’était approché des blessés.
— Mais je vois que vous avez aussi besoin des soins de nos infirmiers, ceux-là m’ont l’air bien mal en point.
— Nous avons été attaqués par les Barbaresques, expliqua Dreu en le voyant se pencher sur Magnus.
Le moine se signa.
— Le Seigneur nous en protège ! Mais vous raconterez tout cela à notre abbé. Venez, suivez-moi.
Et il repartit d’un bon pas.
Quelques instants plus tard, ils pénétraient dans la pénombre fraîche de l’ancienne bergerie. Les murs étaient passés à la chaux et des clous y étaient plantés pour suspendre les vêtements. Des paillasses sur lesquelles étaient posées des couvertures pliées étaient installées de part et d’autre d’une allée. Des bassines étaient emplies d’une eau claire et dans un baquet de bois étaient rangés des linges propres et un savon noir. Le novice s’activa en silence autour des nouveaux arrivants, aidant les blessés à s’installer. Hakon plaça deux guerriers au chevet de son chef qui n’avait toujours pas repris connaissance, faisant dresser autour de lui une alcôve de draps.
Le voyant faire, Joce s’approcha de Dreu, lui demandant en confidence :
— Quel est donc cet homme dont vous prenez tant de soin ?
— Un jarl venu des Orcades. Son nom est Magnus le Noir. Il est le chef des guerriers fauves, la garde d’élite de notre roi Henri II Plantagenêt. Il est mortellement blessé. C’est d’ailleurs pour lui que nous sommes ici. Il serait bon que vous préveniez au plus vite votre infirmier frère Grégoire.
— Vous connaissez frère Grégoire ? s’étonna Joce. Je n’ai pas prononcé son nom.
— Je le connais de réputation, mon frère, et puis, je sais qu’il est arrivé ici il y a quelque temps.
— Vous savez ?
Le visage maigre de l’hôtelier exprimait l’incompréhension.
— Je me disais bien que vous ne me remettiez pas ! s’écria frère Dreu avec un grand sourire. Je suis le moine envoyé par l’abbaye de Savigny pour créer un scriptorium.
Joce le regarda en fronçant les sourcils, et marmonna :
— Un scriptorium, le scriptorium... Frère Dreu... Bien sûr, où avais-je la tête ?
— C’est moi qui m’excuse. Notre arrivée avec tous ces blessés a de quoi bousculer l’esprit le mieux organisé.
— C’est vrai, c’est vrai... Et ces hommes vêtus de cottes de drap noir que recouvrent des gilets de peaux de loup, leurs haches de guerre en travers du dos, sont donc les guerriers fauves ?
— Oui.
— Et ils sont tous là ?
— Oh, non !
— Ah ! Je suis trop curieux, pardonnez-moi. C’est mon métier qui me rend ainsi. Existe-t-il des hôteliers qui ne se soucient pas de leurs visiteurs ?
— Sans doute pas. Mais je vous en prie, mon frère, si je puis encore vous éclairer, cela sera avec grand plaisir.
— Une dernière question, alors. Cet homme là-bas, c’est un Maure ?
— Non, messire Hugues de Tarse est
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