La nef des damnes
empruntés par le religieux impatientaient.
— Ce bois devait servir à la construction d’un bâtiment. ...
— Et vous accepteriez de vous en défaire ? s’écria Corato. Je suis prêt à vous payer plus cher que le tarif de Bordeaux et chacun sait qu’ils ont la main lourde là-bas. Combien en voulez-vous ?
— Vous ferez aumône à notre saint patron Nicolas, capitaine. Et nous serons tous contents.
— Une aumône de combien ? demanda pragmatiquement le Byzantin, qui avait l’habitude des marchandages de toutes sortes.
— Qu’il ne soit pas question d’argent entre nous. Nous avons besoin d’épices pour la cuisine et aussi de quelques matières premières qu’un navire comme le vôtre doit contenir : tissu, farine, vins et autres. Mais nous verrons ces détails plus tard. Si vous m’accompagnez, je vais vous montrer ces poutres afin que votre charpentier puisse faire son choix.
L’entretien était fini. Le moine s’était levé. Il alla au chariot et en admira le travail.
— Je n’ai jamais vu d’ornements comme ceux-là, remarqua-t-il.
— Cela vient de notre palais du Nord, aux Orcades, expliqua Hakon.
— Vous avez des artisans de talent dans votre pays. Je vous conduis à notre réserve ?
— Le temps de rassembler quelques hommes pour le transport, répondit Knut en soulevant la toile de tente.
Corato s’inclina devant le moine en le remerciant.
— Je vous laisse, mon frère, j’ai à faire sur le knörr. Nous nous verrons ce soir et vous me donnerez la liste de ce qui vous est nécessaire.
Les hommes se séparèrent. Au loin retentit l’appel d’un guetteur.
— Une autre visite ? demanda le camérier.
— Non, répondit Hakon. L’un de mes hommes prévient la patrouille de votre départ.
À quelques pas de là, dissimulé derrière des buissons, le Bigorneau gardait les yeux fixés sur le religieux. L’homme lui rappelait quelqu’un, mais dans la confusion de son cerveau, il ne savait plus s’il l’avait rencontré sur l’île ou tout à fait ailleurs.
Enfin, marmonnant et bavant, le mousse s’en alla de toute la vitesse de ses maigres jambes à la recherche de son ami Bertil. Lui saurait. Et il fallait qu’il lui dise qu’on avait maltraité le chien d’Eleonor.
38
Assis sur les marches de l’escalier qui menait à la chapelle, Dreu attendait avec impatience l’entretien que l’abbé devait lui accorder. Depuis l’office funèbre, le petit moine remuait de sombres pensées. La mort de Paul l’avait horrifié. Serait-il possible que le religieux ait mis fin à ses jours ? Ou bien avait-il été rejoint par ce qu’il craignait ? De toute façon, il y avait au Caste-las bien des événements et des attitudes qui l’oppressaient. Il aurait aimé se confier à Hugues de Tarse, avoir son avis. Il se souvenait de sa finesse quand il avait démasqué le « Loup de Barfleur {8} » alors que nul ne soupçonnait son identité. Il soupira. Il était à nouveau cloîtré et il y avait peu de chances qu’ils se croisent à nouveau.
Au début, il avait attribué ce malaise à la drôle de vie qu’il avait menée sur le knörr. Il se disait qu’il s’était déshabitué de la vie monacale et de l’observance de la règle de saint Benoît. Pourtant de singuliers détails lui étaient apparus : le relâchement évident de certains moines qui somnolaient ouvertement au lieu de travailler, ne se lavaient pas les mains pour passer à table, ne se signaient jamais, la crainte non moins évidente des autres, l’attitude autoritaire du camérier, la peur qu’exhalait chaque geste de l’abbé, la saleté de l’autel qui ne semblait pas avoir été nettoyé depuis un long moment... Il savait qu’il existait des monastères où la dépravation et la corruption remplaçaient peu à peu la religion. Où les moines ne respectaient plus rien. Et bien souvent, comme ici, c’était le fait d’un abbé trop faible pour diriger.
Si, au moins, il avait pu discuter avec le cellérier ou un autre religieux, mais la règle de silence était si strictement observée, même pendant les promenades dans la cour, qu’il n’avait pu parler avec aucun. Et c’était pour Dreu un autre sujet d’étonnement. Il y avait toujours des mots ou des signes échangés quand les officiers se détournaient, mais là, les moines marchaient le nez au sol, les uns derrière les autres, tels des prisonniers.
La porte de la salle du chapitre s’ouvrit soudain et
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