La nef des damnes
le lien qui l’étranglait. Il écumait de rage et poussait des aboiements rauques.
Le Bigorneau, qui avait entendu les aboiements et qui, depuis le départ d’Eleonor, nourrissait le grand chien, poussa de petits cris inarticulés en voyant le traitement qu’on lui infligeait. Puis, comme il n’était guère courageux, il se dissimula derrière un canot renversé pour observer la scène.
— Il va se tuer, remarqua Corato en voyant la bête se débattre malgré le nœud coulant. Mais qu’est-ce qui lui a pris ? Je ne l’ai jamais vu comme ça.
— C’est une bête fauve, gronda le moine en époussetant sa robe. Vous devriez l’achever.
Comme s’il avait compris qu’on parlait de l’abattre, Tara s’était calmé d’un coup, s’allongeant sur le sol, le museau entre les pattes, son regard pers toujours fixé sur le religieux. Harald attacha le lien à une souche.
— Ça, non ! protesta Corato. C’est le chien de damoiselle Eleonor. Vous n’avez pas de mal, mon frère ?
— Non. Ça ira.
— Alors, allons-y ! proposa Hakon. Nous avons assez tardé.
Puis, hélant l’un des gardes :
— Toi, là, trouve une autre corde et attache-moi cet animal mieux que ça.
Ils repartirent vers le campement, traversant le fossé et les doubles rangées de pieux qui le cernaient.
— Un vrai camp retranché, remarqua le religieux. Je ne savais pas les marins si doués pour la guerre.
— Après des années de Méditerranée, mes hommes ne sont pas si mauvais, mais les guerriers fauves, ça, ce sont des combattants !
Une note admirative perçait dans la voix du Byzantin.
— Frère Dreu a prononcé ce nom, mais je n’en ai pas bien compris le sens, répliqua le religieux. Il les nomme aussi les bersekirs.
— C’est une garde d’élite du roi Henri II.
— Mais pourquoi une garde d’élite ? Quel type de marchandise ou de passager mérite de tels gardiens ?
Corato, sentant que le religieux l’entraînait sur un terrain mouvant, se détourna. Harald vint à son aide :
— Nos guetteurs ont repéré un navire arborant le croissant des infidèles au large de votre île. Vos eaux ne sont pas sûres, mon frère.
— Nous le savons bien, et c’est pour cela que le Castelas ressemble davantage à un fortin qu’à un lieu de prières.
Ils entraient dans la tente du jarl. Le camérier parut impressionné par les montants de bois ouvragés qui soutenaient la toile et par la panoplie de haches de guerre et d’épées rangées sur le lit de camp. Malgré la toile qui claquait et le vent qui se glissait dans la tente, une douce chaleur s’élevait du brasero disposé au centre des nattes et des tapis.
— Prenez place, je vous en prie, invita Hakon, allant au chariot à roulettes où s’empilaient des coffres de bois.
Il ouvrit celui contenant les affaires de Magnus et en sortit une gourde d’hydromel et des cornes à boire. Une fois tout le monde servi, il prit place dans le cercle. Le camérier avait vidé sa corne d’un trait et l’avait reposée sur un plateau de métal disposé au centre. Les autres l’imitèrent. Puis Knut demanda :
— Alors pour ce bois, que nous proposez-vous ?
— Vous allez vite en besogne, remarqua le moine.
— Ce n’est pas par manque de courtoisie, croyez-le bien, mais nous devons repartir au plus vite, répondit Harald.
— Je ne crois pas que votre jarl soit encore en état de voyager.
— Le jarl est solide, s’il doit vivre, il vivra, rétorqua Hakon. Il n’aimerait pas que nous restions ici.
— Bien, bien, fit Henri en se radoucissant. Vous dites avoir repéré des arbres dans le bois derrière, mais j’ai vu la taille de votre mât sur la grève, aucun n’est assez droit pour le remplacer.
Malgré l’impatience palpable de ses auditeurs, il se tut, ménageant son effet, puis reprit :
— Que ferez-vous d’un bois vert cueilli à la montée de la sève printanière ?
— C’est vrai que ce n’est pas le mieux, approuva le charpentier, mais qu’y a-t-il d’autre ?
— Du bois de charpente, du chêne. Long et droit. Bien sec. Coupé il y a plus de quatre ans.
Un silence accueillit ces dernières paroles. Harald fut le premier à s’exclamer :
— Vous avez ça sur l’île ?
— Puisque je vous le dis. Par contre, vous l’avez vu, nous ne sommes guère riches et nous en démunir pourrait causer préjudice à notre communauté.
— Que nous proposez-vous ? insista Knut, que les détours
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