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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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régulière avec la terre ?
    — Je... Pas vraiment régulière, hésita l’infirmier. Nous avions un canot qui nous permettait de regagner la côte mais il a disparu.
    — Disparu ?
    — Oui, nous le laissions à l’anse de l’Avis près de la ferme, il devait être mal arrimé. Cela arrive. Sinon, le cosuzerain de l’île vient parfois nous rendre visite et il en profite pour chasser les lapins. Deux fois par an, un navire marchand nous livre du matériel ou des marchandises.
    — Qui va transmettre le rouleau des morts ?
    — Je... Il est probable que nous vous le confierons, messire.
    — Vous êtes donc bien prisonniers. Vous ne me dites pas tout, mon frère. Pourquoi Paul se serait-il donné la mort ? Que se passe-t-il sur cette île ? demanda abruptement Hugues. Vos fermiers se cachent. Votre abbé est incapable d’aligner deux mots sans l’appui de ce camérier qui a plus d’autorité qu’un prieur. Quant aux autres, ils semblent terrifiés comme ce novice Benoît qui n’a pas repris son service à l’hôtellerie.
    L’infirmier s’était immobilisé, affrontant le regard noir de l’Oriental, puis il se détourna en haussant les épaules.
    — Pourquoi vous dirais-je quoi que ce soit alors que vous n’avez fait que me mentir ? éluda-t-il.
    — Vous mentir ? Si c’est au sujet de la médecine...
    — Oui, où avez-vous étudié, messire ? Et pourquoi ne pas me l’avoir dit quand je vous questionnais ? On ne connaît pas Galien et Hippocrate sans s’être penché sur les livres.
    — Je n’ai pas menti au sens où vous l’entendez, je me suis abstenu de parler études à un homme qui m’accueillait comme un intrus. Mais maintenant, je peux vous le dire, j’ai étudié à Cordoue.
    — Cordoue. J’aurais dit Salerne...
    Frère Grégoire se tut un moment avant de reprendre avec une soudaine véhémence :
    — Mais il n’y a pas que ça : en arrivant ici vous saviez qui j’étais, n’est-ce pas ?
    — Qui vous êtes vraiment ? Non. Ce qu’on dit que vous êtes, oui. Votre réputation est grande, frère Grégoire, il n’est personne intéressé par la médecine qui ne connaisse votre renommée !
    Le moine se rengorgea et Hugues continua :
    — On parle de vous du Saint Empire germanique jusqu’aux marches du royaume d’Angleterre.
    — Une réputation de maudit et de sorcier, ça, oui. J’en ai entendu de toute sorte !
    — On dit surtout que vous avez de grands talents et qu’on vient vous voir de loin.
    — Ajoutez-vous foi à tous ces ragots que les gens colportent ? insista Grégoire.
    — Je vous crois un homme fasciné par la médecine, mais non par le fait de sauver des vies.
    — Vous êtes clairvoyant, sire de Tarse.
    — Je pense que vous avez la tentation de connaître le corps humain au-delà de ce qu’il nous donne à voir.
    — Même Galien a pratiqué la dissection ! s’enflamma l’infirmier.
    — Il ne l’a fait que sur des animaux, rétorqua Hugues.
    — Je n’en crois rien, messire. Je n’en crois rien. Ses écrits étaient trop habiles pour qu’il n’ait pas pratiqué la dissection sur l’homme. Nous devons savoir ce que le corps contient, il le faut !
    Il baissa le ton et, s’approchant d’Hugues, lui murmura à l’oreille :
    — À vous, je peux le dire, messire : j’ai disséqué des hommes. C’est bien moi qui ai payé pour qu’on déterre ces cadavres, là-bas, à Cologne. Et il me faudra bien d’autres dépouilles et même des vivants, avant que je ne comprenne les subtilités des créatures divines, ainsi que les appelait Hildegarde de Bingen.

 
    POUSSIÈRE ET CENDRE

 
    37
    Un souffle de tempête s’était levé et la mer avait viré au noir et blanc. De courtes vagues s’écrasaient sur les écueils et la grève de l’Avis, faisant éviter l’esnèque et le knörr sur leurs ancres. Les toiles goudronnées des tentes claquaient au vent.
    À l’attache, le chien d’Eleonor signala par de longs aboiements l’arrivée du religieux bien avant que les sentinelles ne lui barrent le chemin.
    — Qui va là ?
    — Je veux voir Harald et Knut, déclara frère Henri sans s’émouvoir malgré les lances qui le menaçaient. Ils m’attendent.
    — Qui êtes-vous ? demanda l’un des guerriers fauves.
    — Frère Henri, le camérier. Je viens pour le bois de construction dont vous avez besoin pour vos bateaux.
    Un des hommes emboucha le cor qu’il portait à la ceinture et un long appel

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