La nef des damnes
gestes des fermiers près de leur foyer, la façon dont ils préparaient la soupe, dont ils la mangeaient lentement, dont l’un d’eux devait faire aller et venir ses pieds sous le tabouret... Une vie qui ressemblait étrangement à celle de ses parents là-haut au nord du Monde.
Il ressortit en faisant signe à ses hommes de le suivre, guidé vers le monastère par l’appel du tocsin qui résonnait toujours.
Arrivée en vue du Castelas, sa troupe se dissimula pour observer la bataille menée par Tancrède. Les défenseurs versaient de la poix brûlante du haut du mur d’enceinte. Flèches et cailloux pleuvaient. On entendait des cris de douleur et de rage. Le rude visage d’Hakon s’éclaira, le monastère résistait et les attaquants refluaient.
L’Orcadien donna le signal du retour. Tant que Tancrède tiendrait bon, la priorité restait le camp et la défense du trésor d’Henri II Plantagenêt. Ils se remirent en marche.
Le soleil plongeait derrière l’horizon quand l’éclaireur repéra l’ennemi en position autour du campement. À portée de hache.
Hakon entendit plus qu’il n’aperçut l’homme que lui désignait son guetteur. Au mépris de toute prudence, il pissait contre un tronc puis rejoignit ses compagnons en plaisantant, incapable d’imaginer que l’ennemi était à la fois devant et derrière eux !
N’eût été ses ordres, Hakon serait volontiers passé à l’attaque. Au lieu de ça, il fit reculer ses soldats à quelque distance, répétant ses instructions. Ils avaient ordre d’attendre derrière les lignes ennemies et même si l’Orcadien eût préféré se battre tout de suite, il reconnaissait l’intelligence du plan que l’Oriental leur avait proposé.
Ses hommes prirent position. Ils s’installèrent du mieux qu’ils le pouvaient pour une longue attente. Hakon s’accroupit, la main sur sa hache. La nuit ne faisait que commencer. Les soldats gardaient une immobilité absolue. L’ennemi se tenait tranquille, surveillant le campement sans rien faire comme si, lui aussi, attendait un ordre.
Soudain retentit le cri de la hulotte, un cri qui se répéta par trois fois et auquel répondit aussitôt le même signal venu des lignes ennemies.
Comme à chaque fois qu’il sentait le danger, Hakon eut l’impression que sa vision et son ouïe s’aiguisaient. Il perçut un mouvement loin sur le sentier, c’était infime, mais il était sûr qu’un homme approchait. Une ombre plus opaque que celle des taillis qui le cernaient. Un homme qui avançait prudemment. Un messager, sans doute. Sa silhouette se profila bientôt non loin de l’Orcadien. Un sourire de loup se dessina sur les lèvres d’Hakon. Ceux-là ne savaient pas se fondre dans la nature comme les guerriers fauves apprenaient à le faire dès leur petite enfance. Les branchettes qu’ils avaient jetées sur la sente se brisaient sous ses pas, il poussa même un juron étouffé. Les hommes d’Hakon ne bougeaient toujours pas. Les pas s’étaient éloignés, le messager avait dû rejoindre les siens. Le sourire de l’Orcadien s’effaça. Il allait encore falloir attendre. Il soupira.
Heureusement, l’aube serait bientôt là et, avec elle, le combat qu’il appelait de tout son être. Il pensa aux pierres du torrent près de sa ferme, là-bas aux Orcades, et son souffle se ralentit jusqu’à devenir imperceptible. La rosée qui s’était déposée sur son corps et perlait sur ses cils annonçait la venue du jour.
49
Le messager portait un sac qu’il posa aux pieds de Richard. Celui-ci regarda sans s’émouvoir la toile souillée de sang puis demanda :
— Quels sont les ordres ?
— Le Diable veut que tu remettes cela à Hugues de Tarse. Il dit que tu sais quoi lui demander.
— Oui, je le sais. Attends-moi ici, ordonna Richard en jetant le paquet sur son épaule.
Et il prit le chemin du camp du pas paisible d’un bourgeois. Les premiers rayons du soleil passaient le rebord du monde. Arrivé à l’orée du bois, il souffla dans son cor et agita un tissu blanc.
— Je viens en paix ! En paix ! cria-t-il aux gardes qui jaillirent autour de lui. Mon nom est Richard et je veux parler à Hugues de Tarse.
Un des soldats le poussa devant lui sans ménagement, les autres disparurent. Richard traversa le camp et sourit en voyant l’étonnement se peindre sur le visage de ceux qui venaient à sa rencontre. Il reconnaissait ses anciens compagnons de voyage : le capitaine Corato du
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